L'ADN des avocats, c'est aussi défendre des personnes odieuses, qui ont commis des horreurs, "car les monstres n’existent pas"
« Comment font les avocats pour en défendre certains ? Moi, je ne pourrais pas. » Dans le cadre de son stage d’observation, cette élève de seconde nous interroge, à la sortie d’une correctionnelle qui fut une découverte pour elle.
« Oui, alors… », bredouillons-nous, « tout le monde a le droit à une défense, c’est le sens d’une justice équitable et il y a toujours des histoires de vie difficile, tu vois… » Notre réponse n’a pas l’air de la convaincre, alors que sa question a le mérite de l’évidence (qui échappe parfois aux routiniers de l’exercice), nous sommes donc allés la poser à des pénalistes.
« Un vrai coupable, c’est un coupable condamné »« Un vrai coupable, c’est un coupable condamné », prévient d’emblée maître Éric Blanchecotte, du barreau de Nevers. « Il faut toujours envisager l’hypothèse que la personne soit innocente et qu’elle puisse faire valoir tous ses droits. »
Les gens voient cela de façon simpliste : celui qui est renvoyé devant la justice pour des faits graves, c’est forcément un sale type. Heureusement, la cour ou le tribunal sont là pour s’en assurer, en étudiant tous les éléments de preuve.
Il cite le principe du doute, qui bénéficie à l’accusé. « C’est très simple à comprendre en le renversant : je doute, donc je condamne… non, ça ne serait pas possible ! Il y a aussi le principe de la personnalisation de la peine, qui nous permet de travailler, même sur les cas les plus difficiles. » Le Code pénal prévoit des peines maximales pour chaque crime ou délit et laisse toute latitude aux juges pour les diminuer en fonction des circonstances.
« Ce pourrait être mon frère ou ma sœur »Pour maître Thibault de Saulce Latour, du barreau de Nevers, la défense est « avant tout une question d’humanité ». Il se retrouve dans la définition d’un « confrère et ami », maître Jean-Yves Moyard : « L’avocat est frère en humanité de son client ». Il développe : « Je ne défends pas un acte, je défends un homme ou une femme qui pourrait être mon frère ou ma sœur. Ce ne sont pas des monstres, car les monstres n’existent pas. »
« Notre rôle, c’est d’essayer d’expliquer pourquoi une personne a pu en arriver là », abonde maître Nathalie Maury, bâtonnière à Nevers.
Expliquer et non pas excuser, c’est important. Les gens font trop souvent l’amalgame : on défend quelqu’un, donc on adhère à ses actions, à ses pensées… ce n’est pas du tout ça !
La bâtonnière décrit une « gymnastique intellectuelle », à laquelle maître Thibault de Saulce Latour ajoute une dimension philosophique : « Le corollaire du principe d’humanité, c’est de croire en la possible rédemption de chaque individu, quelle que soit la gravité du crime. Si l’avocat a de l’empathie pour son client, il trouvera des arguments pour le défendre. »
Tenir la colère à distanceEmpathie ne veut pas dire complicité (dans tous les sens du terme). « J’ai eu deux acquittements aux assises », se remémore maître Éric Blanchecotte. « Je ne suis pas tombé dans les bras de mes clients à la fin. Ce ne sont pas mes amis. Je fais mon travail, c’est tout. »
« Pourquoi défendre les affreux ? Parce qu’il ne faut pas s’abaisser à leur niveau », pose maître Delphine Morin-Meneghel, du barreau de Nevers. « Il faut les juger dignement, car cela fait partie du pacte social. Si la haine et la colère l’emportent, l’équilibre vacille. »
Elle voit l’avocat comme celui qui éloigne la colère de la salle des délibérés, pour que « le peuple reste juste et digne dans sa décision. Quelle que soit l’horreur de l’acte, le peuple reste droit. »
« Les viols sur enfant, je n’en dormais plus la nuit »Cette charge est lourde à porter. « Quand je suis arrivé à Nevers », relate maître Éric Blanchecotte, « j’étais le seul jeune avocat. J’étais à toutes les assises, les vieux ne voulaient plus y aller. Les dossiers de viols sur enfant, je n’en dormais plus la nuit. Il faut le faire, c’est notre métier, mais ce n’est pas de gaieté de cœur. Au fur et à mesure, on apprend à connaître la nature humaine et on développe des capacités de protection. Il y a, maintenant, une barrière entre mon métier et ma personne. »
La limite
« Nous sommes des hommes et des femmes avec nos histoires, nos convictions », rappelle la bâtonnière. « Il faut les mettre de côté. Mais, des fois, ce n’est plus possible. Quand je suis devenue maman, je me suis rendu compte qu’il y avait des choses plus dures à faire qu’avant… » Le blocage impose le retrait. « Mon cerveau, parvient à occulter certaines horreurs et, dans ce cas, je peux travailler », remarque maître Delphine Morin-Meneghel. « Mais pour les sévices sur animal, je n’y parviens pas. Ma graduation du supportable est sans doute viciée, mais c’est ainsi. »
Le refus
Il reste un cas particulier : celui où le client ne veut pas parler. Maître Delphine Morin-Meneghel a défendu Jacobus Van Nierop, le dentiste du Morvan, qui fut un bloc d’inertie durant son procès de 2016 : « C’était joué d’avance et perdu d’avance, car il ne voulait pas se défendre. Les parties civiles avaient tellement d’espoir et je savais qu’elles seraient déçues et, en plus, privées de ce temps de parole parce qu’il fallait aller vite. De mon côté, j’essayais de ne pas les abîmer davantage ».
Le silence
Maître Éric Blanchecotte a été commis d’office pour Thierry Sigaud, qui a tué père et mère en 1997. « Il ne m’a pas interdit de parler, mais il ne m’a donné aucun élément. Je n’avais aucune explication, rien. Qu’est-ce que je pouvais dire ? Forcément, j’ai parlé de choses que la cour savait déjà. C’était un geste dramatique, mais ponctuel, sur le moment. Cette défense, ç’a été une charge pour moi. N’avoir aucun moyen à sa disposition, c’est le pire qui puisse arriver. Il m’aurait interdit de parler, ç’aurait été plus simple ».
Bertrand Yvernault