Gaël Faye attendu au tournant
Contrairement aux apparences, Jacaranda n’est pas vraiment un livre sur le génocide rwandais.
Les seconds romans sont souvent attendus au tournant. Ce d’autant plus que les premiers ont connu le succès. En 2016 Petit pays, premier roman de l’auteur-compositeur-interprète Gaël Faye a remporté le prix Goncourt des lycéens, reçu un excellent accueil critique et s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en France. Huit ans après, l’auteur de l’album de rap Pili pili sur un croissant au beurre revient sur le devant de la scène avec Jacaranda. C’est peu de dire que les attentes sont grandes. Qu’en est-il donc vraiment ? Milan, son personnage principal, est métis comme lui. Rwandais par sa mère. Français par son père. Le Rwanda, il le découvre en 1994. « Le Rwanda est arrivé dans ma vie par la télévision que nous regardions religieusement à l’heure du dîner » confesse-t-il. « La première fois que le présentateur en avait parlé, je m’étais tourné instinctivement vers ma mère, tout excité, presque content qu’il soit enfin question de son pays natal au journal télévisé ». Mais la mère ne réagit pas. Du Rwanda, il n’a jamais été question à la maison. A tel point que le fils a fini par oublier qu’elle est née et a grandi sous d’autres cieux. Au mois d’avril de la même année commence ce qui va être le dernier génocide du XXème siècle : celui des Tutsi. Huit cent mille morts en trois mois. Milan, s’il est affecté par les images – comment pourrait-il en être autrement ? – ne parvient pas à s’expliquer son émotion concernant ce conflit qu’il considère alors comme une « barbarie lointaine ». Jusqu’au jour où arrive dans sa famille un petit garçon portant un bandage à la tête. On le lui présente comme étant son neveu. Il est Tutsi lui aussi. A perdu ses parents. A été blessé. Entre les deux enfants l’affection est immédiate même si le petit Claude porte en lui les stigmates de la guerre. Puis, aussi subitement qu’il est apparu dans sa vie, le jeune garçon est renvoyé dans son pays. Milan n’aura alors de cesse de le retrouver et se rendra lui aussi, plus tard, au Pays des mille collines en quête de ses origines. Là-bas il découvrira sa famille de cœur dont sa mère ne lui a jamais parlé. Rosalie l’arrière-grand-mère mais aussi Eusébie la tante et Stella la petite-fille. Ce retour aux sources va être l’occasion pour l’écrivain de déployer l’histoire de son pays et de sa famille sur quatre générations. Une histoire faite de larmes et de sang, de violence extrême et de sauvagerie, dont il met en lumière l’extraordinaire complexité : « Ceux qui nous tuaient étaient des gens que l’on connaissait, nos voisins, nos amis, nos collègues, nos élus ». Comment survivre à la barbarie ? Telle est la question que pose ce roman bouleversant. Contrairement aux apparences Jacaranda n’est pas un livre sur le génocide rwandais mais sur l’après. Sur la reconstruction et le pardon. Sur l’importance du lien qui seul permet d’avancer. « L’indicible ce n’est pas la violence du génocide – rappelle Stella, l’ange du roman- c’est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout ». Gael Faye a pourtant su trouver les mots avec la douceur qu’on lui connait, la force qu’on lui découvre, sa simplicité et sa poésie.
Jacaranda de Gaël Faye, Grasset, 281 pages.
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