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2024

Forum économique des banlieues : renforcer le développement de l'entrepreneuriat dans les QPV

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Le rendez-vous était pris. Le 17 septembre, Aziz Senni, président de l'association Quartiers d'Affaires - réseau national visant à renforcer la croissance des 250 000 TPE, PME et ETI implantées dans les Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville (QPV) - a inauguré comme il se doit la première édition du Forum Economique des Banlieues (FEB). " Nous avons mobilisés, en douze mois seulement, 900 millions d'euros de financement et plus de 100 millions d'euros de commandes publiques et privées, avec pour objectif de générer des emplois ", s'est félicité Aziz Senni devant le public rassemblé au CESE, dans l'enceinte du Palais d'Iéna. Les objectifs de ce premier Forum Economique des Banlieues sont annoncés d'entrée de jeu : montrer que les entreprises des quartiers vont de pair avec rentabilité (leur chiffre d'affaires consolidé, affirme Aziz Senni, est de 75 milliards d'euros), mais qu'il faut encore se mobiliser massivement pour lever les freins qui entravent la croissance de ces entreprises (accès au financement, manque de fonds propres, etc.). " Nous sommes, ici, les acteurs d'une véritable révolution économique, sociale, inclusive, audacieuse et pragmatique ", déclare solennellement le président de Quartiers d'Affaires, avant de laisser place, entre autres, à Xavier Niel, Président-Directeur Général de Iliad Groupe, venu parler d'innovation, suivi par d'autres acteurs économiques d'envergure. 

" La difficulté dans les quartiers, c'est qu'on ne pense pas uniquement pour soi "  

Selon une nouvelle étude IFOP sur le regard des Français sur le dynamisme économique des banlieues, publiée à l'occasion du lancement du Forum, les deux principaux freins à ce dynamisme seraient le sentiment d'insécurité et les a priori négatifs. Tenaces, ces croyances pourraient cependant être contrées par plus de développement économique et la création d'emplois. Lors de la première table ronde du FEB, Maya Atig, directrice générale de la Fédération Bancaire Française, tire néanmoins " beaucoup d'espoir " de cette étude. La directrice de la FBF insiste notamment sur les outils à disposition des entrepreneurs, à l'instar de certaines banques accompagnant les associations dans des dispositifs d'éducation financière. " Ça permet d'utiliser tout ce talent, toute cette jeunesse et ses atouts spatiaux " pour surmonter ces a priori négatifs mis en exergue par l'étude.  

Youssef Koutari, entrepreneur et influenceur suivi par plus de 500 000 personnes sur LinkedIn, connait bien la pression qui repose sur les épaules des entrepreneurs issus des quartiers. Ancien ingénieur d'affaires, il s'est lancé il y a quelques années dans un projet entrepreneurial ambitieux en créant l'école de commerce inclusive Kout Que Kout. " Quand tu viens des quartiers populaires, ce que tu fais, tu le fais pour toutes les personnes qui t'entourent ", observe-t-il. " Que ce soient tes parents, tes frères, tes soeurs, tes amis, tu le fais pour embarquer tout le monde avec toi et cette pression peut se vivre autant négativement que positivement, confie l'entrepreneur. Il y a des personnes très déterminées et d'autres qui ont totalement abandonné, parce que ça leur parait insurmontable. Pour moi la difficulté dans les quartiers, c'est qu'on ne pense pas uniquement pour soi. " L'auteur d'On ne réussit pas tout seul (éd.Vuibert) se rappelle ainsi les réactions de son entourage lorsqu'il décide de se lancer dans l'entrepreneuriat. Son père a alors du mal à concevoir qu'il puisse renoncer à une stabilité durement acquise au fil des années. Être bien accompagné, bien entouré, être mentoré et avoir des role models, tout cela est à ses yeux essentiel pour les porteurs de projets issus de quartiers défavorisés. 

Pour compléter ce tableau, Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, dégage quant à lui quelques caractéristiques de l'entrepreneuriat dans les quartiers. Un entrepreneuriat jeune et " qui ne cherche pas à échapper au chômage ", avec environ 85 % d'entrepreneurs déjà actifs lors de la création de leur entreprise. " Ce sont des acteurs de la nouveauté ", soutient-il, rappelant que leur première source de financement réside dans la " love money " (amis, famille, etc.). S'ils rencontrent encore des difficultés de financement, les choses vont néanmoins vers le mieux :  selon une étude de Bpifrance Le Lab et TerraNova parue en 2016, 43 % des entrepreneurs des quartiers identifiaient l'accès au financement comme le frein principal à leur développement. " Désormais, on tourne autour de 26 % ", note le directeur de Rexecode. 

" Beaucoup d'entreprises manquent de fonds propres, développe Maya Atig. Or l'accompagnement au crédit bancaire est un atout majeur. Si quelqu'un dialogue avec vous, que vous êtes accompagnés, vous avez 9 chances sur 10 de réussir. " Que ce soit directement par les banques, via des associations partenaires ou des fonds de garantie, il s'agit finalement de sortir du déterminisme en " apprenant à parler d'argent et à commercer. " Insister, revenir, dialoguer, réfléchir, ne pas lâcher, autant de conseils que la directrice générale de la Fédération bancaire française adresse aux porteurs de projets. Avant toute chose, il y a évidemment un enjeu de formation et d'éducation. Selon Youssef Koutari, les entrepreneurs de demain, formés au sein de son école inclusive, " cherchent des personnes qui les comprennent et qui sont passées par le même chemin. Dire aux jeunes qu'il faut faire dix fois plus que les autres pour s'en sortir est un discours très néfaste, estime-t-il. Il faut leur montrer un chemin où il suffit de faire comme les autres pour s'en sortir, à condition d'avoir des diplômes, des compétences demandées sur le marché et qui vont permettre d'acquérir tel métier et tel niveau de salaire ". Autrement dit, ouvrir la voie sans que cette nouvelle génération d'entrepreneurs ait besoin de se battre dix fois plus que les autres. " Il faut qu'on arrive à créer un système où les jeunes des quartiers populaires fassent confiance aux institutions et soient bien entourés. " 

Des intervenants expérimentés et engagés pour l'entrepreneuriat 

Outre les tables-rondes, nombreuses et enrichissantes, le FEB avait également planifié de nombreuses masterclass et keynotes de personnalités éclairantes, à l'instar de Zineb Ghout (Directrice Peugeot France), Eneric Lopez (directeur IA de Microsoft France), Jean-Marc Borello (président du Groupe SOS), Jean-Louis Borloo ou encore le groupe de rap culte Neg'Marrons, venu parler du business de la culture urbaine. Jean-Philippe Courtois, fondateur de l'association Live for Good, est quant à lui venu sur scène pour évoquer le rôle à jouer de l'entrepreneuriat à impact dans le dynamisme économique des banlieues. " L'engagement permet de créer une valeur à la fois économique, sociale et environnementale ", avance celui qui, quelques jours auparavant, venait de quitter ses fonctions au sein du comité exécutif de Microsoft après quarante ans de bons et loyaux services. " Une vague d'entrepreneuriat à impact est en train de déferler sur la France. C'est un moment unique pour les quartiers prioritaires de la ville d'être un acteur majeur de ce mouvement ", poursuit le fondateur de Live for Good, association créée avec sa famille en 2015 à la suite du décès de son fils, Gabriel, qui donne aujourd'hui son nom au Prix remis chaque année à six entrepreneurs de moins de 35 ans. 

Pour illustrer ce mouvement, Jean-Philippe Courtois évoque les parcours d'entrepreneurs passés par le programme Live for Good, à l'instar de Julien Ezonga. Malgré un parcours académique brillant, le futur entrepreneur essuie de trop nombreux refus. Déterminé, ce dernier se présente en 2018 aux Négociales (plus grand concours de négociation commerciale francophone) et finit dans le top 1 %. Convaincu que les talents des jeunes ne sont pas suffisamment mis en avant par les CV, il lance finalement La Pépiite, qui permet aujourd'hui à des entreprises reconnues (L'Oréal, Le coq sportif, etc.) de recruter leurs équipes de manière inclusive, sans CV ni entretien classique. Un exemple remarquable de l'impact que peuvent avoir les entrepreneurs issus des quartiers. Pour l'ex-vice-président de la firme fondée par Bill Gates, les jeunes entrepreneurs qui émergent aujourd'hui " ont besoin de mécénat, de réseau, de financement, et ont surtout besoin de clients ", soutient-il. C'est d'ailleurs un des objectifs de ce premier Forum Economique des Banlieues : ouvrir une place de marché, avec d'un côté des entrepreneurs des QPV, et de l'autre de côté des clients potentiels. " Si l'on veut que cette vague déferle de manière positive dans tous les QPV, il faut que chacun ouvre ses carnets de commandes et soient prêts à faire confiance à ces jeunes ", affirme Jean-Philippe Courtois. 

Les actions de Bpifrance pour soutenir l'entrepreneuriat dans les QPV 

Présente au FEB aux côtés de Geoffroy Roux de Bézieux (MEDEF), Gonzague de Blignières (RAISE) et Abdelaali El Badaoui (Banlieue Santé), Marie Adeline-Peix, directrice exécutive de Bpifrance, est venue défendre les actions mises en place par la Banque publique d'investissement dans le cadre du programme Entrepreneuriat Quartiers 2030. " Si l'on met en place des actions renforcées pour soutenir l'entrepreneuriat dans les quartiers, c'est pour lutter contre ce déterminisme qu'on se met parfois en tête ", précise-t-elle. Si le dernier Indice entrepreneurial français, enquête publiée tous les deux ans par Bpifrance afin de prendre le pouls de l'entrepreneuriat dans l'Hexagone, montre qu'un 1 habitant sur 4 des QPV s'inscrit dans la chaine entrepreneuriale (contre 1 sur 5 en 2021), il reste cependant une très forte part d'intentionnistes et peu de passages à l'acte. Pour Marie Adeline-Peix, les actions menées par Bpifrance ont justement pour but de lutter contre le " c'est-pas-pour-moi " que peuvent ressentir les porteurs de projets. 

Sur le terrain, la banque des entrepreneurs s'appuie notamment sur les nombreux réseaux d'accompagnement réunis dans le collectif Cap Créa. " Un auto-entrepreneur qui crée son business dans les quartiers n'a pas les mêmes besoins qu'un entrepreneur qui va se lancer dans la tech ou qui veut faire du transport. Or, on a un panel de solutions qui répondent à l'ensemble de ces besoins ", témoigne la directrice exécutive de Bpifrance. Un panel de solutions notamment rendu possible par la mobilisation des pouvoirs publics et le déblocage de 456 millions d'euros, en vue d'accompagner pas moins de 100 000 entrepreneurs dans les QPV d'ici les quatre prochaines années. " Que ce soit la Caisse des Dépôts ou n'importe quel autre organe de l'Etat, il faut qu'il y ait des gens qui ressemblent à ces territoires ", soutient quant à lui fermement Abdelaali El Badaoui, le fondateur de Banlieue santé. " Je pense qu'on aura alors une meilleure compréhension de ce qui se passe sur le terrain. " 

Cet article a été publié initialement sur Big Média Forum économique des banlieues : renforcer le développement de l'entrepreneuriat dans les QPV