Bernard Boyer est l'un des derniers taxidermistes du Puy-de-Dôme : "Je cherche toujours l’âme de l’animal"
Des êtres figés à jamais, à qui Bernard Boyer a souhaité redonner la vie. Voilà comment le taxidermiste présente les poules fluorescentes que l’on croise en grimpant dans son grenier, posées à côté de ratons laveurs en pleine partie de ping-pong. Au rez-de-chaussée, dans une pièce sombre, une tête de cerf accrochée au mur, le regard rivé sur un loup. Derrière, un lion et une panthère encerclés par un sanglier ou une chèvre. Une centaine de bêtes tellement réelles qu’elles donnent l’impression de nous sauter à la gorge. En ouvrant la porte de son univers, très vite, le professionnel se défend. "Pour tous les animaux, j’ai les certificats qui prouvent que je suis en règle."
L’un des derniers du départementDe prime abord, Bernard Boyer n’a pas l’air d’être un grand bavard, pourtant une fois lancé on ne l’arrête pas. Cheveux blancs, vêtu d’un pull d’où surgit une tête de loup, il roule un peu les R et a gardé l’accent de sa Haute-Loire natale, même s’il a passé une grande partie de sa vie en Maine-et-Loire. À 72 ans, il est l’un des derniers taxidermistes du département. Installé à 1.050 mètres d’altitude, dans le lieu-dit L’Estival, à Medeyrolles, petit village au cœur du Livradois-Forez qui compte une centaine d’habitants, le retraité continue de travailler dans l’atelier installé dans son jardin. "Juste pour mon plaisir personnel."
Cet amoureux des animaux depuis tout jeune a découvert la taxidermie à l’âge de 11 ans. En face de son école primaire à Aurec-sur-Loire, il se voit encore regarder par la fenêtre de Monsieur Bourgie, qui exerçait le métier. "Un jour, il m’a fait entrer. Et après, j’y allais tous les jeudis parce qu’on n’avait pas classe." Depuis, il n’a jamais cessé de "redonner la vie", comme il le répète. Car de sa fenêtre, la taxidermie est une façon de rendre hommage aux bêtes qu’il recueille.À travers ses créations, Bernard Boyer exprime aussi son trait d’humour.
Une bête du Gévaudan de deux mètresBernard Boyer n’a pas compté, mais il estime que des centaines de carcasses sont passées entre ses mains. Parmi ses grandes fiertés, la légendaire Bête du Gévaudan de plus de deux mètres de haut, qu’il a réalisée à partir de récits et de films. "Même si en réalité, je suis fier de tous mes animaux", lâche-t-il en faisant défiler des photos sur son téléphone portable. Certaines viennent de parcs animaliers qui ont accepté de lui céder les animaux à leur mort. D’autres de la chasse à l’arc, qu’il pratique lui-même. Il y a aussi ce loup venu tout droit du Canada, qu’il a acheté. "Le travail le plus difficile, c’était lorsqu’un particulier me confiait la dépouille de son chien ou de son chat, car eux, ils l’ont connu vivant, moi seulement mort."
D’abord, le naturaliste doit vider la dépouille, "et c’est l’étape la plus difficile émotionnellement". Puis, il prend les dimensions de la bête pour réaliser le moule en polyuréthane sur lequel il recoud la peau tannée, avant d’ajouter les yeux de verre. Pour les finitions, il peut compter sur sa compagne Andréa Marchand au maquillage. "Je cherche toujours l’âme de l’animal. Pour ça, il faut le reproduire avec ses traits à lui." Et il faut le dire, à chaque fois le rendu est saisissant.
Une activité bientôt disparue ?Bernard Boyer n’a jamais réussi à vivre de sa passion. Bien qu’il se soit mis à son compte en 1983, le taxidermiste a poursuivi son activité de menuisier à côté. "Dans les années 90, on me commandait une centaine de bêtes par an, mais à partir de 2005, ça a beaucoup baissé et la dernière année où je travaillais pour les autres, j’ai dû en faire 25", se souvient-il.La taxidermie est devenue, au fil du temps, symbole de mauvais goût décoratif et le message a de plus en plus de mal à passer. "J’entends souvent “pourquoi vous faites ça à des pauvres bêtes qui n’ont rien demandé??”. Les gens pensent que je déteste les animaux, alors que c’est tout l’inverse." Aujourd’hui, le retraité cherche une salle prêtée par une municipalité du coin où il pourrait exposer ses animaux. Histoire qu’ils ne tombent pas dans l’oubli.
Angèle Broquère