"Israël assassin, Macron collabo" : la drôle de démocratie de LFI, par Omar Youssef Souleimane
Au début de la révolution syrienne en 2011, avant chaque manifestation, il fallait se préparer pour ne pas être interpellé par la police : mettre la photo de Bachar el-Assad en fond d’écran au cas où le Mukhabarat (service de renseignement militaire) s’en prendrait à la manifestation, afin de faire croire qu’on n’était là que de passage. Porter des chaussures de sport pour pouvoir fuir, se masquer pour ne pas être reconnu sur les appareils filmant la foule. Si l’on devait envoyer un texto à un camarade, il ne fallait jamais utiliser les mots "révolution" ou "manifestation", mais plutôt "fête", "concert", "promenade"… "Il fait chaud" signifiait : beaucoup de policiers ; "beau" : ils ne sont pas encore arrivés ; "grillade" : nous sommes nombreux.
Ces codes étaient exprimés spontanément, les manifestants les reconnaissaient rapidement, une forme de complicité existait entre eux. Le véritable moteur de la création de ces codes était la nécessité de se dissimuler pour échapper à un régime fasciste. Aux check-points, lorsque nous traversions en voiture, nous devions diffuser une chanson vulgaire appréciée des soldats, pour qu’ils ne remarquent pas nos fausses cartes d’identité. Si nous avions des bouteilles de bière, nous les placions à côté du conducteur pour prouver que nous n’étions ni islamistes, ni rebelles, mais juste de simples jeunes cherchant à se divertir. Bien sûr, ces méthodes ont changé avec l’apparition des barrages islamistes : le Coran et la fausse barbe sont alors devenus les nouveaux laissez-passer.
A l’époque, je n’aurais jamais imaginé que treize ans plus tard, au cœur de Paris, où je me suis réfugié pour vivre librement, je sois obligé de me déguiser pour assister à une manifestation "contre le coup de force de Macron". Dans le pays de Paul Éluard, après avoir été menacé et insulté sur les réseaux sociaux par l’extrême gauche, on ne se sent plus en sécurité une fois entouré par les militants de La France insoumise. Même si l’on est présent uniquement par curiosité, pour observer la première manifestation de la rentrée organisée par ce parti, il veut mieux se protéger : porter une banane, un gilet, des lunettes de soleil et du fond de teint sur son visage pour ne pas être reconnu.
"Libérez la Palestine, de Gaza à Jénine"
Suite au massacre du 7 octobre, pour se montrer du côté des victimes quelle que soit leur origine, LFI évoquait timidement la libération des otages, l’arrêt de la guerre et la justice pour les deux populations, israélienne et palestinienne. "Le cessez-le-feu immédiat" était le slogan le plus répété. Ces propos ne trouvent plus leur place dans la manifestation du 7 septembre. Onze mois jour pour jour après le pogrom du Hamas, La France insoumise est bien plus claire dans ses revendications, désormais marquées par des accents antisémites. À Bastille, il est 14 heures, des centaines de manifestants, majoritairement des jeunes, scandent : "Israël assassin", "À bas Israël", "De Paris à Gaza, les fascistes ne passeront pas", "Vive la résistance du peuple palestinien"… On entend aussi : "Libérez la Palestine, de Gaza à Jénine". Autrement dit : détruire Israël, un pays où les juifs représentent 75 % de la population, et où la capitale économique, Tel-Aviv, se situe entre ces deux villes.
En une demi-heure, le nombre de manifestants se multiplie. Deux hommes se bagarrent. L’un parle de "détruire Israël", l’autre répond : "ce sont les sionistes, pas Israël". D’autres manifestants interviennent rapidement et mettent fin au conflit. Quelques minutes plus tard, un autre homme alerte la foule : quelqu’un brandit un drapeau avec l’étoile de David. Plusieurs militants se dirigent vers l’endroit indiqué, au début de la rue de la Roquette. Fausse alerte : ce n’est pas le drapeau de l’Etat hébreu, mais celui du PCF !
Des militants arborent un pull vert sur lequel on peut lire "Boycotter Israël". Une femme porte cette tenue en répétant avec le haut-parleur : "Israël assassin, Carrefour complice". Cinq jours auparavant, le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) a sur X, sous le hashtag #BoycotterCarrefour, ciblé le groupe français spécialisé dans la grande distribution : "Tout indique que Carrefour a – au moins – un centre dans la colonie de Modiin-Maccabim-Reout." Carrefour a envoyé en octobre 2023 des aides alimentaires à Tsahal, mais a aussi, en Jordanie, aidé des civils palestiniens. Qu’importe, le BDS a continué ses appels au boycott. Dans un article publié en 2005 dans le journal libanais Al-Safir, le cofondateur de BDS, Omar Barghouti, a appelé à créer un seul Etat sur l’ensemble de la "Palestine historique". Pour lui, l’idée de fonder "deux Etats pour deux peuples" n’a jamais été une solution. Dans le même article, il confirmait que boycotter Israël est la manière la plus efficace pour se débarrasser de l’Etat hébreu.
Deux catégories de victimes
On avance dans la rue du Faubourg Saint-Antoine en direction de Nation. Je me trouve obligé de répéter les slogans de la manifestation pour ne pas me faire remarquer. Pour les manifestants, il est essentiel de boycotter Israël dans son ensemble et de condamner ses "alliés" : "Israël assassin, Macron collabo", "Biden assassin, Macron complice". Bien qu’il ne pleuve pas, un parapluie aux couleurs du keffieh palestinien est brandi par un manifestant. A ma gauche, un homme barbu porte une djellaba. Des jeunes masqués avec le keffieh, au milieu de la foule, observent les présents. Dix minutes plus tard, l’ambiance change. Sous un drapeau palestinien, des slogans appellent à la justice pour Zyed Benna et Bouna Traoré, les deux adolescents morts en 2005 après s’être cachés dans l’enceinte d’un poste électrique pour échapper à un contrôle de police, ce qui a déclenché des violentes émeutes dans les banlieues. "On n’oublie pas, on ne pardonne pas", répètent-ils en citant également le nom d’Adama Traoré, décédé en 2016, peu de temps après avoir tenté de fuir un contrôle de police qui concernait son frère aîné. D’autres faits divers, bien plus récents, sont absents de la manifestation : la mort de Matisse, un garçon de 15 ans tabassé par un adolescent afghan en avril ; le décès d’Eric Comyn, gendarme percuté par un chauffard lors d’un refus d’obtempérer. Il semble que nous soyons aujourd’hui confrontés à deux catégories de victimes françaises : celles qui n’intéressent pas ces manifestants pour des raisons idéologiques et celles qui les concernent. Pour eux, la France est avant tout palestinienne et migrante.
Soudain, des groupes de la communauté LGBTQ et de jeunes écologistes apparaissent. Ils répètent les slogans pro-palestiniens. Peu de temps après, tout le monde se met à danser. Aucune tristesse n’est visible. La joie règne parmi les manifestants censés rendre hommage aux victimes de Gaza. En début de manifestation, la femme au pull vert tenant un haut-parleur a également évoqué le nombre de soldats israéliens tués : "10 000 morts". Selon elle, Israël n’a plus assez de combattants face à la résistance palestinienne. "Les Israéliens préfèrent aller en prison plutôt que d’aller à Gaza", assure-t-elle. Selon le site allemand de statistiques Statista, le nombre de militaires israéliens morts ou blessés entre octobre et août est pourtant de 2 254.
On continue la marche jusqu’à Ledru-Rollin ; rien de nouveau, les slogans restent les mêmes. Il est temps de partir. Derrière moi, j’entends : "Macron, destitution." Une phrase "Stop au coup de force de Macron" est écrite sur une voiture. Une autre sur un bandeau : "Le retour de la Macronie, la révolte aussi." Al-Jazeera diffuse en arabe un reportage sur les manifestations en France contre la "dictature" de Macron. Rima Hassan y apparaît portant le keffieh. Le paradoxe est que le Qatar, propriétaire de cette chaîne, n’a jamais reconnu la démocratie. A Paris, des manifestants qualifient le gouvernement français de dictatorial et de complice du "fascisme" israélien. En même temps, si on n’est pas d’accord avec eux, on risque des menaces de mort sur les réseaux sociaux et un passage à tabac dans la rue. Ces militants défendent la démocratie avec un esprit totalitaire.
* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.