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Сентябрь
2024

La Terreur et la Vertu

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La Révolution est loin d’être anecdotique, ou de ne constituer qu’une période ancienne de notre histoire qui n’aurait plus qu’un intérêt lointain. À mon sens – et certains historiens l’ont d’ailleurs bien montré – il y a une forme de continuité avec la Révolution russe de 1917, puis avec tous les idéalismes en apparence généreux mais en réalité d’essence totalitaire qui ont suivi. Visant, de manière exaltée, à « purifier », régénérer l’espèce humaine, ou à éradiquer le passé. Toujours dans l’illusion de pouvoir parvenir à un monde meilleur et pacifié (en passant par l’instrument de la violence et de la terreur, et son massif tribut de morts à payer). On aurait ainsi tort de sous-estimer la persistance de ces idéologies perverses, qui font toujours recette.

Dans l’émission « Répliques » du 31 août 2024, Alain Finkielkraut, heurté par l’image de la reine Marie-Antoinette exhibant sa propre tête sous le chant du Ça ira, souhaite réhabiliter d’urgence le roman d’Anatole France Les dieux ont soif, que nous avions présenté ici-même. Et c’est au regard de l’importance de cette question que nous allons prolonger notre exploration de cette période terrible en présentant cette excellente réalisation datant de l’époque de l’ORTF et aujourd’hui disponible en DVD.

 

La terreur au service de la vertu

Le réalisateur de cette fiction, Stellio Lorenzi, servi par les dialogues écrits par Alain Decaux, y dépeint un Robespierre soucieux, contrarié, idéaliste, profondément attaché aux vertus et aux valeurs de la Révolution, ainsi qu’à la liberté, et même se prononçant résolument contre la peine de mort. Mais qui juge cependant nécessaire d’en reporter la mise en application, au vu de tous les dangers intérieurs et extérieurs qui menacent la viabilité de cette révolution.

Danton, peu en phase avec Robespierre (l’inverse est également vrai), prône au contraire l’indulgence, la liberté tout de suite, que cesse le sang versé. Il demande le renouvellement du Comité de Salut Public, véritable gouvernement de l’État, et que l’on vide les prisons, remplies de milliers de « suspects ». Il conteste la part importante prise par les arrestations arbitraires. Ce qui déplaît vivement à Robespierre, pour qui l’évocation de la clémence constitue une véritable déclaration de guerre, par le risque éminent qu’elle fait courir d’affaiblir gravement la Révolution.

On retrouve aussi Camille Desmoulins, pris entre deux feux. Entre son amitié ancienne avec Robespierre (ils se sont connus sur les bancs de l’école) et l’admiration qu’il voue au charismatique Danton. Ce qui va lui valoir, à travers son journal Le Cordelier – au départ approuvé par Robespierre à qui il soumet les tout premiers numéros – d’être accusé aux Jacobins d’être contre-révolutionnaire. Et finalement lâché par Robespierre, qui le traite de naïf et tente malgré tout de l’épargner, en souvenir de leur amitié, suggérant plutôt de s’en tenir à l’autodafé public des numéros de son journal. Ce en quoi Desmoulins en appelle à Robespierre à se référer à son idole Jean-Jacques Rousseau, qui désapprouvait ce genre d’acte. Mais Robespierre ne sera pas soutenu, par nombre de membres des Jacobins, dans sa tentative de clémence envers Desmoulins, qu’il se verra contraint de lâcher.

 

Le déchirement des factions

Au centre de la première partie de ces confrontations, on trouve aussi la menace que représente Hébert, dont Danton veut la tête (car il sait aussi qu’Hébert veut la sienne). De tendance populiste et anarchiste, il appelle ses partisans à l’insurrection des sans-culottes contre la Convention et les bourgeois, voire à la mise en place d’une dictature.

De fait, Robespierre déclare qu’il n’est ni pour les ultras (les hébertistes) ni pour les modérés (les dantonistes), la République étant fragile, menacée, et la Révolution n’étant pas achevée. Il oppose ainsi les vices aux vertus, ces dernières étant symbolisées par le peuple, conformément aux vues de Rousseau. Face au déchirement des factions et au Comité divisé, il s’appuie sur Saint-Just pour écraser ces contestations. Ce qui aboutira à la mise en place de la loi des suspects et à la Terreur, dans le but de faire régner l’ordre, toujours au nom de la démocratie et de la liberté, la République devant être débarrassée des « ennemis du peuple ». Au nom du bonheur aussi, les opulents devant selon Saint-Just être dépossédés au profit des plus pauvres, la mendicité ne devant plus être admise.

C’est ce qui va ainsi aboutir à l’arrestation de Danton et ses plus fidèles soutiens, jugés sommairement par un Fouquier-Tinville dont on connait les procès expéditifs et le peu de remords à faire taire toute tentative d’argumentation, envoyés ainsi à l’échafaud.

 

La chute de Robespierre

Dans la seconde partie de cette excellente réalisation magnifiquement interprétée par ses acteurs, nous retrouvons tous les éléments présentés dans notre article précédent cité en préambule : l’éloge de la Vertu, la référence à Jean-Jacques Rousseau, à l’Être Suprême et à l’immortalité de l’âme, ainsi qu’à la Nature. Et tout ce qui caractérise le jusqu’auboutisme de Robespierre, son idéalisme et son caractère exalté, qui vont lui valoir d’être de plus en plus suspecté par certains de vouloir mettre en place la tyrannie et de se débarrasser de ses opposants y compris au sein du Comité de Salut Public en les envoyant à la guillotine.

Tandis que Tallien, l’homme par qui la chute de Robespierre sera déclenchée, est heurté par le peu d’action de Robespierre pour tenter de faire libérer sa bien-aimée en prison, certainement promise à la guillotine, se liguant avec Foucher, Barras et d’autres (n’hésitant pas à négocier avec leurs opposants en mettant en balance la fin de la loi de Ventôse), les tensions sont très vives au sein du Comité de Salut Public. Robespierre y échoue même à obtenir la révocation de Fouquier-Tinville et est traité de dictateur par un Carnot excédé, au cours d’une attaque personnelle de Saint-Just, le plus fidèle parmi les fidèles de celui qu’on surnomme l’Incorruptible. Ce qui conduit ce dernier, outragé, à se retirer du Comité de Salut Public pendant quatre décades.

Le tout dans le contexte de la loi sur le Maximum de salaires, votée en son absence et qu’il désapprouve aussitôt qu’il en a vent, qui a pour effet de porter le peuple dans la rue, lui qui y associe à tort le nom de Robespierre.

Mais c’est le véritable affront de Collot d’Herbois et Billaud-Varenne, demandant à Robespierre de mettre fin à son culte de l’Être Suprême qui va mettre véritablement le feu aux poudres. Ce qui leur vaut d’être considérés par un Robespierre profondément heurté et virulent au cours d’un discours aux Jacobins comme des « traîtres ». Du moins pensent-ils qu’il s’agit d’eux lorsqu’il utilise ce terme sans donner de nom.

La suite, on la connaît. Je vous renvoie à la recension de l’ouvrage de Colin Jones sur la Chute de Robespierre : la séance particulièrement houleuse à la Convention, l’arrestation de Robespierre, Saint-Just, Couthon, Le Bas, l’insurrection de la Commune, la marche de Barras vers la Maison Commune et l’Hôtel de Ville, jusqu’à la conduite à la guillotine de ceux qui étaient parmi les plus fervents artisans de la politique de la Terreur.

Il reste que l’on devrait dorénavant toujours se méfier de l’insistance de ceux qui veulent à tout prix promouvoir la vertu, en quelque époque et en quelque lieu que ce soit. Au mépris des réelles libertés. On ne voit que trop jusqu’où cela peut mener…

 

Danton-Robespierre, La Terreur et la vertu, une fiction réalisée par Stellio Lorenzi, « La caméra explore le temps », édité par l’Ina, juin 2009, 227 min

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