La chronique du temps présent de Franck Bouysse : "les Jeteurs de détritus sont parmi nous, agissant en toute impunité"
Je roulais sur l’autoroute, réfléchissant à un sujet de chronique, lorsque je vis s’envoler une bouteille vide d’une vitre de la voiture qui me précédait. Je m’engageais sur la file de gauche et me portais à sa hauteur, m’attendant à voir un gamin à l’arrière ayant échappé à la vigilance de ses parents.
Ce n'était pas un enfantQue nenni, l’homme voyageait seul à bord de sa berline, en pleine conversation téléphonique. Je baissais alors la vitre côté passager, attrapais ma bouteille d’eau à demi-pleine, l’agitais pour attirer son attention, afin de lui faire comprendre qu’il avait mal agi. Il tourna machinalement la tête, choisit méticuleusement la phalange centrale de sa main droite, pour me la tendre en un geste sans équivoque.
D’abord offusqué, je reconnais avoir été tout de même impressionné par les capacités cognitives du bonhomme, car la voiture filait droit, et il n’avait pourtant pas lâché son portable pendant qu’il me faisait l’honneur de son doigt.
Un jeteur de détritus récidivistePoussé par la curiosité et l’envie d’en apprendre davantage sur les habitudes d’un tel spécimen, je me calais sagement derrière lui. Quelques kilomètres plus loin, il jeta un mégot, puis un emballage de barre chocolatée, puis un autre mégot. Ce type, c’était Super Mario en personne. Il ne manquait plus qu’il balance une peau de banane pour m’envoyer dans le décor. Devenant alors plus attentif à l’environnement routier, je remarquais toutes sortes de détritus abandonnés sur le bas-côté et parfois même écrasés sur la chaussée. Je ne pouvais quand même pas rendre Mario responsable de ce désastre écologique. Des individus dans son genre devaient se relayer pour perpétrer leur forfait.
Sur les traces de cette anomalieTel un ethnologue sur les traces d’une tribu reculée d’Amazonie, je me sentis investi d’une mission.
Je décidai de continuer de le suivre, espérant découvrir l’endroit où il vivait. J’imaginais un village situé près d’une décharge à ciel ouvert, que des malheureux en guenilles exploraient, à la recherche de quelque objet utile jeté par les nantis. Pour autant, l’image ne collait pas avec ce type, étant donné qu’il possédait une voiture, un téléphone et de quoi goudronner ses poumons. Étais-je en train d’infiltrer une société secrète, une secte ? L’idée de me jeter dans la gueule du loup me fit froid dans le dos – sûrement des relents du Da Vinci Code que j’avais regardé la veille.
En périphérie de LimogesBref, n’écoutant que mon courage, je poursuivis ma quête d’un monde meilleur, et bifurquais derrière Mario dans une artère secondaire en périphérie de Limoges. Il m’entraina dans un dédale de rues bordées de pavillons cossus, puis se gara devant l’un d’eux. Je continuais à rouler pour ne pas éveiller les soupçons, juste le temps d’apercevoir dans le rétroviseur un nouveau mégot atterrir sur le trottoir.
C'était quelqu'un comme nousIl n’y avait donc aucune hutte de sauvage, et pas plus de décharge à proximité. L’homme habitait donc là, au milieu de ses semblables, dans un parfait anonymat, la planque idéale.
Je venais de faire une découverte fondamentale en prouvant que les Jeteurs de détritus ne vivent pas reclus en un lieu perdu, mais qu’ils sont parmi nous, agissant en toute impunité.
J’espère maintenant que des scientifiques vont prendre le relais, afin d’identifier l’anomalie responsable de ce genre de comportement, puisque étonnamment, Mario ressemble à vous et moi.
Franck Bouysse