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De quoi les Jeux olympiques sont-ils le nom ?

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Au premier abord, cette question appelle une réponse simple. La Charte olympique les définit ainsi : « Les Jeux olympiques sont des compétitions entre athlètes, en épreuves individuelles ou par équipes, et non entre pays. » Ô surprise ! Le vécu du grand public est tout autre, qui voit dans cette compétition sportive un moyen pour les nations engagées d’affirmer leur réussite, leur pouvoir et leurs valeurs. Le décompte scrupuleux des médailles conquises par chacune d’elles est l’indicateur de leur succès.

 

Loin de moi l’idée de jeter l’opprobre sur le sport en général. Sont parfaitement dignes d’estime les sportifs amateurs, les clubs qui les accueillent, et les bénévoles qui les encadrent. Le sport professionnel est tout autant légitime, car il s’agit d’une activité privée, une industrie du spectacle, au même titre que le cinéma ou le théâtre. C’est l’intrusion des États qui font des Jeux olympiques un événement à la nature ambiguë, dissimulée au plus grand nombre.

Dans le langage de la sociologie, le champ de la compétition n’est donc pas seulement celui du sport, mais aussi et peut-être surtout celui de la géopolitique, c’est-à-dire qu’il est un lieu où s’affrontent les États qui se partagent la planète. La levée des couleurs, les hymnes nationaux entonnés lors de la remise des prix, et la parade insistante des drapeaux lors des cérémonies d’ouverture et de clôture en sont les manifestations les plus visibles.

On en veut aussi pour preuve les nombreux épisodes de boycotts, certains pays désirant protester contre le comportement du pays-hôte ou la présence d’autres pays jugés infréquentables.

Ce fut le cas à Melbourne en 1956, après l’invasion de la Hongrie par les chars russes. Puis en 1968, 1972 et 1976, de nombreux pays africains ont boycotté les Jeux pour protester contre le régime d’apartheid sud-africain.
En 1980, l’intervention soviétique en Afghanistan entraîne le retrait des États-Unis et de 64 autres pays des Jeux de Moscou. La réplique de l’URSS et de quatorze de ses satellites ne tarde pas.
Les Jeux de Los Angeles en font les frais quatre ans plus tard.
Les Jeux de Paris 2024 ne sont pas en reste qui ont vu l’exclusion de la Russie et de la Biélorussie, leurs athlètes n’ayant pu participer que sous bannière neutre, en ne remportant que cinq médailles.

L’essentiel est ailleurs : la liste des pays participants, leur butin en nombre de médailles, racontent les changements intervenus dans la hiérarchie des pouvoirs étatiques au cours des 130 dernières années. Naguère club fermé des pays occidentaux, les Jeux olympiques sont désormais ouverts à tous. De 241 athlètes de quatorze nations en 1896, les Jeux passent à 11 804 sportifs représentant 205 délégations, lors des Jeux olympiques de Paris en 2024.

Le palmarès des médailles de 2024 est plein d’enseignements.

On s’aperçoit que le poids démographique n’est aucunement un atout suffisant. Si la Chine se hisse sur le podium, forte de ses 1400 millions d’habitants, les autres pays les plus peuplés d’Asie, l’Inde, l’Indonésie et le Pakistan sont très peu représentés, avec respectivement huit, trois et une médailles. Le Bengladesh n’en a obtenu aucune. Avec 17,2 % de la population mondiale, l’Afrique ne recueille que 3,7 % des récompenses. L’Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande) rafle 7 % des médailles alors qu’elle pèse un demi-pourcent de la population mondiale. A contrario, le continent européen où vivent 9,6 % des Terriens s’est emparé de 40 % des médailles. Si l’Union européenne s’était présentée aux Jeux comme une seule entité, elle se serait hissée à la première place avec 309 médailles sur 1045, loin devant les États-Unis et la Chine (respectivement 126 et 91 médailles).

On pourrait objecter que le score de chaque pays est déterminé non seulement par le nombre de ses habitants, mais aussi par leur potentiel économique (le PIB par tête).

Or, une analyse statistique sommaire montre que ces deux variables, bien que significatives, n’expliquent que 45 % de la distribution du nombre des médailles (tous métaux confondus).
Elle met en évidence le fait que les grands pays européens, dont la France, ont beaucoup mieux performé que ne le laissait prévoir le schéma explicatif évoqué plus haut. Elle valide l’excellence des États-Unis, de la Chine et de quelques pays industrialisés d’Asie (Corée du Sud et Japon). La présence en haut de l’affiche de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ne fait que confirmer la résilience du modèle occidental.
Seule la Chine, qui a accepté les disciplines de l’économie de marché, est devenue un challenger crédible. Si, sauf exception dans des sports de niche, les pays du Sud se sont peu investis dans les Jeux olympiques, nombre de leurs ressortissants les ont plébiscités en concourant sous les couleurs des pays développés, après y avoir immigré ou en avoir pris opportunément la nationalité.

Les Jeux olympiques, fait de société global, est à l’intersection de plusieurs champs socioculturels. Le champ politique domestique est tout autant concerné. Les Jeux sont un élément de la compétition que se livrent les acteurs sur la scène politique du pays-hôte. Accueillir les Jeux est certes un moyen de briller dans le concert des nations mais pour le pouvoir en place, c’est l’occasion d’offrir aux citoyens un spectacle sans égal et la fierté de focaliser sur eux les regards télévisuels du monde entier. Le prestige et la légitimité des dirigeants s’en trouve majorée. Pour le meilleur (Londres 2012 par exemple) et pour le pire (Berlin 1936). Cette grâce a été octroyée jusqu’ici pour l’essentiel aux pays développés (26 sur 33 Olympiades, dont 17 en Europe, six en Amérique du Nord, et trois en Océanie) ; le reste allant à la Chine, au Japon, à la Corée du Sud et au Brésil.

Plus sournoisement, les Jeux et le sport de haut niveau ne sont-ils pas aussi une façon de détourner l’attention des peuples des problèmes qui les assaillent, une trêve bienvenue pour une classe politique incapable d’y apporter des solutions ?

Le slogan de la Rome antique « Panem et circenses » pourrait se traduire aujourd’hui par « Jeux olympiques et pouvoir d’achat ».

Accessoirement, c’est pour l’exécutif l’occasion de démontrer sa maîtrise des problèmes d’organisation et de sécurité. Ce qui fut le cas pendant les Jeux olympiques de Paris 2024, faisant taire tous les opposants politiques, qui s’étaient livrés auparavant à un intense « JO-bashing ». L’effet anesthésiant et euphorisant des Jeux est total.

Portons notre regard maintenant sur le champ de l’économie : les Jeux coûtent cher ! Pour formuler un jugement sur le financement de l’édition Paris 2024, il faudra attendre le prochain rapport de la Cour des comptes. Les chiffres qui circulent et leur ventilation sont encore incertains. Les dépenses pourraient se monter à plus de neuf milliards d’euros couverts par la subvention du CIO, les recettes de billetterie et les apports de partenaires privés. Il semble que les infrastructures, village olympique, piscines et autres installations soient à la charge des collectivités publiques. Leur rentabilisation future n’est pas assurée.

In fine, l’État français a apporté une garantie de passif à hauteur de trois milliards d’euros. Les expériences étrangères n’incitent pas à l’optimisme, car leur budget initial a toujours été dépassé, – en l’état de 45 % à Paris 2024 -, et qu’il s’est soldé généralement par un déficit substantiel.

Qui gagne à ce petit jeu ? La classe politique qui a restauré sa crédibilité, la Maire de Paris, et à un moindre degré, le président de la République et son gouvernement, le petit monde de l’écosystème sportif, les athlètes et leurs fédérations, mieux considérés et davantage subventionnés.

Quant au public français, il aura consommé un « bien public » consistant dans le spectacle des épreuves où les sportifs nationaux ont excellé. Son ego en a été flatté. Des économistes keynésiens affirmeront que les Jeux olympiques ont fait progresser le PIB de quelques dixièmes de points de pourcentage. À démontrer ultérieurement, quand l’impact sur les finances publiques pourra être mesuré.

Mais qui paiera en dernière instance ?

Certainement pas ceux qui ont décidé de présenter la candidature de Paris auprès du Comité International Olympique (CIO). En fait, la charge va retomber sur le contribuable de 2024 et celui des années qui viennent, pour peu que les Jeux aient pour effet d’alourdir la dette publique.

Il y a dans tout cela un parfum d’aléa moral et de déni de démocratie : des politiciens bien intentionnés ont puisé dans les caisses de l’État pour financer un événement destiné à les faire valoir. À aucun moment, le choix n’a été donné clairement aux citoyens d’affecter les sommes en jeu à des emplois alternatifs, plus utiles économiquement et socialement. Pas plus que les habitants de la puissance invitante, la Ville de Paris, n’ont été consultés, encore moins dédommagés pour les nuisances qu’ils ont eu à subir.

Les organisateurs de la cérémonie d’ouverture ont saisi cette opportunité pour investir le champ de l’idéologie, en assénant leur credo woke au monde ébahi, toujours aux frais du contribuable, qui n’en pouvait mais.

Ainsi va, de nos jours, la société du spectacle dans sa déclinaison politique.

De cette revue, il faut conclure que les Jeux olympiques ne sont aucunement l’aimable rencontre de gentlemen passionnés de sport, tels qu’ils avaient été conçus à l’origine. En ce début de XXIe siècle, le ruissellement de bons sentiments auquel nous assistons ne doit pas faire illusion. Les Jeux olympiques témoignent avant tout de la conflictualité qui s’est généralisée dans notre monde fortement interconnecté, où rivalisent les peuples, les groupes sociaux et les individus.

Les Jeux olympiques, c’est la guerre par d’autres moyens.