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Jacques Rozier : “Mon défaut, c’est que je fonctionne sur la notion de désir”

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Jacques Rozier – Comme disait Blaise Pascal, “Le Moi est haïssable”, c’est la grande règle du XVIIe siècle. Je suis très XVIIe, je pense qu’on est toujours personnel, quoi qu’on raconte. Le côté romantique, raconter ses histoires personnelles, c’est le xixe siècle. J’admire beaucoup Flaubert ou Maupassant, mais je serais plus un classique ou un baroque. Tout en reconnaissant que, quand un film est terminé, il tient par ce que j’y ai mis de moi – sans que je m’en sois aperçu. Je crois au côté instinctif : on ne doit pas être conscient de ce qu’on fait. C’est foutu d’avance si on part avec des messages ou des théories. Il faut laisser venir, c’est comme ça qu’Auguste Renoir faisait un tableau. Le cinéma doit marcher comme ça, sans thèmes à illustrer… Surtout pas d’illustrations ! Le drame, c’est que 90 % des gens, le public ou les décisionnaires, croient qu’un film, c’est une histoire à illustrer. On répète, en le prêtant à tout le monde – à Hawks ou à Hitchcock – qu’un bon film, c’est un bon scénario, un bon scénario et un bon scénario ! C’est complètement faux. Regardez Le Mépris : le film est sublime par rapport au livre de Moravia. On peut partir d’un roman de gare et faire un film sublime, et partir d’un texte sublime pour faire un film d’hypermarché.

Comment êtes-vous entré en cinéma ?

D’abord, j’ai fait l’Idhec. Puis je suis entré à la télévision comme assistant. Ce qui m’intéressait, c’était le contact avec les interprètes, ceux des dramatiques en direct, ou même avec les figurants. Mais je ne voulais pas rester assistant trop longtemps, donc je me suis donné les moyens. C’est ce que tout le monde fait maintenant mais, à ce moment-là, c’était complètement anarchiste. Il y avait les cartes professionnelles, les autorisations de tourner du CNC, on était encore dans l’héritage mental de Vichy – celui de l’autorisation préalable et de la pellicule contingentée. Ce système a continué pendant vingt ans. Moi, je voulais tourner, sans l’autorisation de personne. J’ai acheté de la pellicule et suis parti tourner mon premier court métrage, Rentrée des classes, avec quelques amis, des techniciens de la télé, et ma femme comme scripte. Je n’avais alors aucune expérience de production. C’était une époque géniale pour le court métrage puisqu’il passait en première partie des films – c’était donc économiquement rentable. Après, j’ai produit Blue Jeans moi-même, il est passé en première partie d’un film avec
Dario Moreno qui était à hurler de rire : O que Mambo, de John Berry.

Comment était l’Idhec de l’époque ?

C’était la contestation permanente, une vraie pétaudière. Le seul problème, c’est qu’il n’y avait aucun moyen. On n’avait droit qu’à quelques mètres de pellicule, pour tourner le début et la fin du plan et travailler ensuite sur les raccords-mouvements. Quand on m’a demandé de raconter mes souvenirs de l’école pour une soirée d’Arte, j’ai refusé de tomber dans ce piège de la nostalgie : j’ai préféré faire un court métrage, une petite comédie avec Averty, Comment devenir cinéaste sans se prendre la tête.

Comment avez-vous rencontré Godard ?

En montrant Blue Jeans au Festival de Tours. Il était le correspondant d’Arts. Il avait titré “Resnais, Varda, Demy et Rozier dominent le Festival de Tours. Seul le nom de Resnais était connu, à cause du Chant du Styrène, les autres étaient totalement inconnus au bataillon ! Ce titre a fait scandale, tout le monde se demandait qui étaient ces trois zèbres. On est devenus amis. Devant le succès complètement inattendu d’A bout de souffle, Georges de Beauregard, le producteur du film, s’est mis à chercher des jeunes cinéastes. Godard lui a donné deux noms : Demy et Rozier. Demy a fait Lola et moi, Adieu Philippine. Après, je n’ai pas su prendre Georges de Beauregard, qui était une sorte d’aventurier, un aventurier de bistrot mais un aventurier quand même, un type étonnant. J’étais trop anar et cassant pour entrer dans le moule. Surtout qu’à la fin d’Adieu Philippine il était tombé sous l’influence de Melville, ce qui a un peu détraqué nos rapports. Avec son Stetson et son imper de flic américain, Melville entrait dans la mythologie de Beauregard. Lors d’une projection de travail d’Adieu Philippine, j’entendais Melville chuchoter à l’oreille de Beauregard qu’il fallait couper un truc là, un autre ici. A l’issue de cette projection, Beauregard a donné l’ordre à la monteuse de couper une vingtaine de minutes – il ne croyait pas du tout au film et hésitait à le sortir. Avec l’aide de quelques personnes, on a racheté le film et il a été montré à Cannes en 62. Ça a été un peu un coup de tonnerre. Des exploitants m’ont demandé le film et, manque de pot, le type à qui j’avais fait racheter les droits avait disparu ! C’était un type d’Algérie, membre de l’OAS, qui se planquait ! Moi qui avais fait un film sur la guerre d’Algérie, je ne pouvais pas
le distribuer à cause d’un mec de l’OAS ! Après, le film a fini par sortir avec un distributeur qui ressemblait à Pachala, le personnage de producteur un peu misérable joué par Vittorio Caprioli. Quand je revois la scène où il est chez lui, avec sa femme, en train de gémir la tête dans les factures, au milieu de boîtes de pellicule, je me dis que c’était un plan prémonitoire : je me retrouvais dans la même situation ! Par-dessus le marché, un article des Cahiers du cinéma, intitulé “L’Affaire Philippine” et signé Nicole Zand, m’a fait beaucoup de mal. Elle avait rencontré tous les protagonistes de l’histoire mais avait mal retranscrit ma version : je passais pour un farfelu, un fou furieux. A partir de là, même si la valeur du film était reconnue, ma légende d’emmerdeur et de fou ingérable était née !

Quand a été tourné le film ?

Durant l’été 1960. En 1978, quand il a été réédité, j’ai ajouté le carton du début qui précise que c’était la sixième année de la guerre d’Algérie. Aujourd’hui, quand je présente le film à des lycéens, j’ai vraiment l’impression de leur parler de la guerre de Cent Ans. A l’époque, il y avait la censure, on ne pouvait pas prononcer les mots de “guerre d’Algérie”. Du coup, le film est complètement allusif : le garçon partait au service militaire, c’est-à-dire à la guerre. Les spectateurs de l’époque le comprenaient parfaitement, maintenant il faut un peu l’expliquer. Cela dit, je crois que c’est assez universel parce que j’ai su capter quelque chose de la jeunesse de l’époque. Vers 64-65, le public d’âge moyen trouvait le film charmant et frais, un film de vacances, alors qu’à chaque présentation, un jeune type se levait et les insultait en leur disant que c’était son histoire, son départ à la guerre. L’idée initiale d’Adieu Philippine, c’est le clivage de la France dans les années 60 entre les gens découvrant la civilisation de la consommation, la civilisation des vacances, le Club Med, et ceux de 20 ans qui étaient concernés par le casse-pipe en Algérie. Mais le film n’est pas du tout autobiographique – mis à part la scène du tournage en direct de Montserrat, réalisé par Stellio Lorenzi aux Buttes-Chaumont, qui passe souvent dans les histoires de la télévision, genre Tchernia. Ils n’ont rien filmé de l’époque et il ne reste comme document que cette séquence d’un film de fiction ! J’ai vu des paniques monstrueuses, en direct à l’antenne, un peu comme celles de Tous en scène de Minnelli. J’adore le spectacle vu des coulisses.

Comment avez-vous choisi les comédiens d’Adieu Philippine ?

En bon élève de l’école néoréaliste italienne, c’était l’idée des gens pris dans la rue. Le garçon et ses copains ont apporté la vérité, leur langage, le langage moderne de l’époque. Comme Godard, j’avais été très impressionné par le film de Jean Rouch Moi, un Noir : je voulais ce côté-là, pris sur le vif et semi-improvisé. Sous prétexte d’enquêtes journalistiques, trois équipes d’enquêteuses accompagnées d’un photographe sillonnaient les rues de Paris. Je me suis retrouvé avec un millier de photos, avec de petits comptes rendus pour chacune. Après, je convoquais ceux qui me semblaient intéressants. Il en restait quatre ou cinq de bien, dont Jean-Claude Aimini, qui a eu le rôle. Les autres ont fait ses copains. Pour les filles, ça ne s’est pas passé de la même façon. Yvelyne Cery, je l’avais repérée sur les Champs-Elysées, je trouvais qu’elle avait le visage d’un tableau de Renoir. Pour l’autre fille, j’avais d’abord choisi une petite actrice de théâtre qui jouait au Théâtre du Palais-Royal, alors spécialisé dans les comédies un peu lestes, le genre guêpières : elle était très mignonne. Mais le jour des essais, elle a surjoué et j’ai eu peur, je ne l’ai pas engagée. Comme les dates de tournage approchaient, Carlo Ponti, coproducteur du film, m’a dit de venir trouver une starlette à Rome. Dans ses bureaux, je trouve la photo de Stefania Sabatini, j’appelle un vague agent qui me l’envoie dans la soirée, après la sieste qui durait de 2 à 5 h ! Elle avait été Miss Rome l’année précédente. Ponti lui a aussitôt fait signer un contrat de sept ans, comme on faisait alors, avant de les déchirer si ça ne marchait pas. Comme elle avait un trop fort accent italien, elle a été doublée par la chanteuse des Games, un groupe yé-yé de l’époque, formé de trois filles venues de la chorale de l’ORTF. Elles en paraissent 18 mais les deux filles du film n’avaient que 15 ans et demi.

Comment vous êtes-vous retrouvé sur le tournage du Mépris de Godard, où vous avez tourné Paparazzi ?

J’ai fait un court métrage sur la mode, Dans le vent, pour un producteur qui avait un accord avec un service culturel du Quai d’Orsay. Après, j’ai proposé aux Affaires étrangères de filmer le premier jour de la rencontre Godard/Bardot. A l’époque, c’était un coup de tonnerre car Godard était emblématique de la Nouvelle Vague et Bardot, du vieux cinéma. Finalement, lors du fameux premier jour de tournage, j’étais en Allemagne en train de faire la version allemande d’Adieu Philippine. Comme le Quai insistait, je leur ai proposé de faire quelque chose sur les paparazzi. Un copain de Paris Match m’avait dit que Bardot avait des tas d’histoires avec les photographes italiens, qu’ils la poursuivaient en vespa dans les rues de Rome. J’étais allé voir Godard qui m’avait donné son accord sous réserves que Bardot accepte aussi. Il me l’a présentée à un cocktail, j’étais alors un inconnu. Elle a accepté de jouer le jeu. J’ai mis en scène le face-à-face entre Bardot et les paparazzi mais sans les mettre en présence : c’était du travail de montage, ils dialoguaient par l’intermédiaire du film. À Capri, il n’y avait pas des centaines de photographes comme à Rome, ils n’étaient que trois : c’est leur point de vue contre celui de Bardot, elle et eux étaient tous victimes du système médiatique naissant. On murmurait qu’elle allait se baigner nue pour les besoins du film et eux rêvaient de photographier la scène. Le hasard a fait que j’étais dans le même hôtel qu’eux, alors ils venaient me demander des tuyaux, je jouais un peu le double jeu, je leur donnais une moitié d’information. Dans cette auberge, on mangeait très bien, et Jack Palance, qui était un grand solitaire, est venu y bouffer. Les paparazzi commencent à le mitrailler sans lui demander l’autorisation. Alors, j’assiste à une scène de western : Palance mangeant sa pizza aux fruits de mer, levant les yeux très lentement et leur disant en anglais, très calme, “Voulez-vous rentrer ça, s’il vous plaît !” Ils se sont écrasés et l’ont laissé bouffer tranquille. Pour le prix d’un film, j’en ai fait deux : Paparazzi et Le Parti des choses : Bardot et Godard. C’était ça l’esprit de la Nouvelle Vague, pour le prix d’un film, on en fait deux !

Après Adieu Philippine, pourquoi n’avez-vous pas enchaîné sur un autre film ?

Il a fallu que j’attende la commande d’Yves Jaigu et Yves Laumet, qui dirigeaient le service des coproductions de l’ORTF, pour pouvoir tourner Du côté d’Orouet. C’était des types formidables, c’est grâce à eux que se sont tournés La Maison des bois de Pialatet Le Petit théâtre de Jean Renoir. Le vrai scandale, c’est que Jean Renoir, en 1966, s’était vu refuser l’avance sur recettes ! Cela dit, entre les deux films, je n’ai pas arrêté de travailler, de faire des machins pour la télé ou d’essayer de trouver de l’argent pour mes projets. C’est toujours un numéro de funambule, d’équilibriste au bord du gouffre, à la limite de la misère. Encore que ce fût une misère contrastée puisque je vivais dans un très bel et grand appartement dont j’avais du mal à payer le loyer. Quand les huissiers arrivaient pour encaisser des cotisations de je ne sais quoi, ils ne comprenaient pas en voyant l’appartement ! C’est la situation du châtelain ruiné… C’est vrai que j’étais incapable de mener à bien un scénario pour le faire passer par les circuits officiels. Mon défaut, c’est que je fonctionne sur la notion de désir. Si j’ai l’idée d’un film, j’ai envie que ça se fasse dans les trois-quatre mois. Je lance une idée, j’écris mais sans achever l’écriture, j’ai du mal à donner à lire un scénario bouclé. Tout ce que j’ai fait, c’était toujours des trucs encore en gestation. Pour Adieu Philippine, j’avais donné trois pages dactylographiées à Georges de Beauregard ; Du côté d’Orouet, quatre ou cinq pages ; Maine-Océan, pareil, un demi-scénario. J’arrive toujours à faire des films avec des producteurs aventuriers, comme Paolo Branco ou Humbert Balsan. Les autres, les conventionnels, je leur fous la trouille. Je ne cherche que l’audace et j’ai besoin de rencontrer des gens audacieux. Je suis quelqu’un qui fout la trouille… Je dois avoir l’air un peu fou. Et pourtant, je suis exactement l’inverse. Quand je dis que je suis excellent gestionnaire, personne ne me croit en me voyant. Pourtant, c’est vrai. 

Comment cela se passait-il à la télé ?

Là, la commande est toujours très rapide, on n’a pas le temps d’avoir des états d’âme. Et pourtant, c’est des histoires de dingues, des exercices très périlleux. Pour les Ni figue, ni raisin, il y avait une chanteuse de variétés, Michèle Arnaud, qui était très protégée par le Premier ministre de l’époque, Pompidou – elle avait donc des émissions. Elle commence une série avec Averty, Les Raisins verts : gros succès. Elle s’engueule avec lui, elle m’appelle car elle avait vu Paparazzi, j’y vais pour le fric et par goût du studio. C’est mon côté Minnelli, diriger deux cents personnes dans un studio ne me fait pas peur. Pour le numéro huit de la série, on avait décidé avec Antoine Duhamel de faire une comédie musicale à prétexte mythologique et de détourner complètement l’émission. On a appelé ça Ni figue, ni raisin de Corinthe. C’était une sombre histoire d’Argonautes sur un plateau télé, le délire total, Dalida chantait du Antoine Duhamel ! Le scandale a été tel que Peyrefitte a menacé la pauvre Michèle Arnaud de la faire passer sur la deuxième chaîne, qui venait d’être créée, en guise de sanction. En revanche, j’ai tenu à faire le Jean Vigo que me proposait Janine Bazin pour Cinéastes de notre temps. J’ai fait le film selon la même méthode que Citizen Kane : qui était vraiment le citoyen Vigo ? Ses collaborateurs, ses amis, parlent de lui trente ans après sa mort. On découvre alors un Vigo complètement anar, très farceur, à l’opposé de son image des histoires du cinéma, du côté “Rimbaud du cinéma” qui lui colle à la peau.

Quelle est l’histoire de Nono Nénesse, dont on a découvert des fragments à La Rochelle ?

Grâce au Chaud lapin de Pascal Thomas, Bernard Menez était devenu une vedette, on parlait alors du “nouveau Bourvil”. Avec Thomas, on était assez copains et on s’est dit qu’on allait faire une fantaisie avec Menez. A ce moment-là, Jean Drucker avait lancé l’idée de faire des coproductions à la SFP. Notre idée, c’était de faire des Laurel et Hardy français – Pialat était aussi dans le coup. A Cannes, on s’est payé une page de pub où on déclinait tous les titres des épisodes futurs : Nono Nénesse rois du tiercé, Nono Nénesse ne vieilliront pas ensemble, que devait naturellement réaliser Pialat ! Nénesse était le surnom de Menez sur le tournage de Du côté d’Orouet et Nono Nénesse le titre d’un film que je voulais tourner avec lui mais qui ne s’est pas fait. C’était un clin d’œil à ce projet avorté. Au retour de Cannes, j’ai proposé à Drucker de faire un pilote en vidéo, en piquant l’idée d’un Laurel et Hardy célèbre qui s’appelle Brats, où ils jouaient à la fois les bébés et les parents, au milieu d’un mobilier géant. Toutes les Buttes-Chaumont travaillaient pour nous à la construction des décors à l’échelle bébé, des lits géants…
On s’est amusés comme des fous, c’était encore l’idée du studio. On coréalisait avec Pascal, on dirigeait les comédiens en leur donnant juste un canevas, c’était de la pure commedia dell’arte, on filmait ça comme un match de foot ! Mais on n’est pas allés assez loin dans l’imitation du film de Laurel et Hardy, on a fait les enfants, mais pas les pères. Vingt ans après, notre grande idée est de reprendre les mêmes, Menez, Villeret, Maurice Risch, et de leur faire jouer des majors de l’armée des Indes qui doivent partir dans le Pendjab septentrional pour défendre les possessions de la couronne britannique, puisque ça se passait dans une nursery anglaise en 1930, en laissant derrière eux leur progéniture. C’était les années noires de la SFP, le projet a sombré dans des imbroglios juridiques mais je ne perds pas espoir de le finir bientôt, dès que quelqu’un aura enfin la volonté de le faire. Il ne reste que dix minutes à tourner. 

Jusqu’à Maine-Océan, qui sort en 86, comment vivez-vous ? A quoi occupez-vous votre temps ?

J’occupe mon temps par des tâches épouvantables et impératives, je suis forcé d’apprendre la comptabilité pour échapper aux pressions fiscales. J’ai été obligé de devenir gestionnaire. Et puis, au point de vue fric, ce sont des années un peu noires. C’est terrible d’être forcé de faire ça plutôt que du cinéma. Je vis grâce à mes droits sur mes films, misérablement mais en gardant la tête hors de l’eau. Ce qui m’agace beaucoup autour de mon image de marque, c’est la distinction purement artificielle entre cinéma d’auteur et cinéma populaire. Moi, je suis un intellectuel qui fait du cinéma populaire, comme Guitry et comme Pagnol. Maintenant, il faut que les produits soient tout de suite identifiables, comme dans les grandes surfaces : ça doit être ou un vin de luxe ou du Vieux-Papes. On m’a collé l’étiquette “auteur un peu spécial” alors que les salles prouvent l’inverse puisque j’entends les gens rire à chaque fois que je montre un film ! À Maine-Océan, les gens hurlent de rire. La France est le pays des cloisons étanches. Moi, j’aime le mélange des genres et pas les chapelles. C’est moi qui suis normal, ce sont les autres qui sont anormaux. Dire que j’ai intitulé un de mes films, celui avec Pierre Richard, Les Naufragés de l’île de la Tortue ! C’est pour moi un double symbole : le naufrage et puis la tortue, ça avance très lentement une tortue. Mais je renvoie aussi à la fable de La Fontaine, Le Lièvre et la tortue