Université française: la grande garderie
Plus d’un étudiant sur deux quitte l’université sans avoir décroché sa licence. Que de temps perdu et d’argent dépensé pour rien pour la nation !
Le principe du droit à l’accès à l’enseignement supérieur pour tous les bacheliers date de l’époque napoléonienne, qui a consacré le baccalauréat comme premier grade universitaire. Les effectifs dans l’enseignement supérieur sont restés très modestes tout au long du XIXe siècle, ainsi que pendant la première moitié du XXe siècle, compte tenu de la faiblesse des effectifs de diplômés du baccalauréat : il y avait à peine 29 000 étudiants à l’université en 1900, 137 000 en 1950. Une première croissance forte du nombre d’étudiants se produisit durant les années soixante, sous l’effet du baby-boom, alors que l’accès au baccalauréat restait cantonné à une faible fraction de la population – à peine 15% des jeunes de vingt ans étaient titulaires du baccalauréat en 1965. La forte croissance de l’effectif étudiant durant les années soixante conduira toutefois le Général de Gaulle à envisager l’instauration d’une sélection à l’entrée à l’université, mesure à laquelle il renoncera en 1968 sous l’effet de l’agitation étudiante.
Un flux si difficile à canaliser
La progression de l’accès au baccalauréat tout au long des 50 dernières a nourri une deuxième vague de forte progression des effectifs à l’université, en dépit du repli de la natalité. En 2022 et 2023, au sortir du système éducatif, c’est 80% d’une classe d’âge qui détient le baccalauréat. L’introduction des dispositifs Admission-Post-Bac (APB) puis Parcoursup a eu pour objet d’accompagner la croissance du flux d’entrée dans l’enseignement supérieur plutôt que de la contenir : aujourd’hui encore le principe du droit à l’accès à l’enseignement supérieur (mais pas nécessairement dans la filière souhaitée par le bachelier) reste inscrit dans le droit, à l’art. L612-3 du code de l’éducation. Il y a aujourd’hui 1,6 million d’étudiants à l’université, dont 1,1 million dans les filières licence-master-doctorat (LMD).
Le droit pour tout bachelier de pouvoir poursuivre des études supérieures est généralement défendu sur le fondement d’une élévation jugée nécessaire du niveau d’éducation et de qualification de la population. Très représentative de cet état d’esprit, la Fondation Terra Nova écrivait ainsi – dans une note de 2014 – que « Un discours aux relents réactionnaires prétend qu’il y aurait trop d’étudiants, que beaucoup seraient trop faibles pour suivre des études universitaires, et que tout irait donc mieux s’il y en avait moins. Nous sommes en profond désaccord avec cette vision. Nos sociétés évoluent : en permettant un accès plus large à la culture et au savoir, elles répondent à l’aspiration démocratique à un plus grand partage de la connaissance. Une aspiration d’autant plus forte qu’elle repose aussi sur une division du travail toujours plus sophistiquée et qui exige une main d’œuvre plus qualifiée. De fait, l’augmentation du niveau général des qualifications accompagne la transformation de la structure des emplois, et les salariés d’aujourd’hui, à niveau hiérarchique égal, sont plus diplômés qu’hier. »
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On ne peut bien sûr dans l’absolu que souscrire à l’objectif d’une élévation du niveau d’éducation et de qualification de la population. Il est tout de même permis de se demander si l’élargissement de l’accès à l’université a atteint ses objectifs en la matière, et si cela a été bénéfique pour notre pays. Or les taux de réussite à l’université sont très faibles, en dépit des possibilités offertes par Parcoursup de canaliser les étudiants vers les filières censées être adaptées à leurs facultés : bon an mal an, moins de 30% des étudiants qui s’inscrivent en première année de fac obtiennent leur licence en trois ans (source : ministère de l’Enseignement supérieur), et environ 15% supplémentaires y parviennent en quatre ou cinq ans. Le taux de réussite en licence atteint donc au total péniblement 45% au terme de cinq ans, c’est donc plus d’un étudiant sur deux qui quitte l’université sans avoir décroché sa licence. Il y a là à l’évidence un immense gâchis d’argent et de temps, pour la collectivité, pour les enseignants, et pour les étudiants eux-mêmes, du moins pour ceux qui échouent, au moment même où ils sont dans la force de l’âge. Le ministère de l’Enseignement supérieur, en publiant des résultats de réussite en licence en cinq ans, accrédite du reste implicitement l’idée qu’une durée de cinq ans – incluant pas moins de deux redoublements sur un cycle de trois ans ! – serait une durée « normale » pour obtenir une licence. En cohérence avec cet état d’esprit, les textes officiels prévoient que le nombre de droits annuels à une bourse peut atteindre cinq pour l’obtention de la licence.
L’apprentissage en panne
On signalera au passage que les taux de réussite en licence au bout de cinq ans sont particulièrement faibles pour les titulaires d’un bac technologique (20%) ou professionnel (8%) : à l’évidence, les études académiques ne sont guère adaptées à leur profil.
En dépit de cette proportion importante d’échecs, le système éducatif français produit néanmoins un grand nombre de diplômés de l’enseignement supérieur, puisque au sortir du système éducatif, dans la classe d’âge qui va de 25 à 34 ans, les diplômés de l’enseignement supérieur représentent tout de même 50% de la population de cette classe d’âge. Le choix qui consiste à former autant de diplômés du supérieur est-il pertinent ? Au sein des 25-34 ans, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur est de 49% en Espagne, 54% aux Pays-Bas, mais de « seulement » 36% en Allemagne, 43% en Autriche et 40% en Finlande. Au vu de ces chiffres, et dans la mesure où l’économie se porte objectivement mieux en Allemagne (ou en Finlande) que chez nous, on est en droit de se demander jusqu’à quel point il est justifié de diriger vers l’enseignement supérieur une aussi large fraction de la jeunesse !
Figure 1 – Niveau de diplôme selon la nomenclature CITE de la population des 25-34 ans dans les pays de l’OCDE en 2021 (en %)
Source : ministère de l’Éducation nationale, https://www.education.gouv.fr/media/118598/download
La France a toujours privilégié l’enseignement général, au détriment de l’enseignement technique, un point que relevait déjà – et dont se désolait – Alfred Sauvy dans les années soixante-dix (dans L’économie du diable et La machine et le chômage). D’autres pays – l’Allemagne ou la Suisse sont exemplaires à cet égard – accordent bien plus d’importance à l’enseignement professionnel, assis en grande partie sur l’apprentissage, la France aurait tout à gagner à s’en inspirer.
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Comment, du reste, imaginer qu’on puisse redresser notre industrie sans former des ouvriers ? Le nombre d’apprentis en France a certes fortement progressé au cours des dernières années, mais la hausse n’a concerné que les filières de l’enseignement supérieur. Le nombre d’apprentis dans les filières de l’enseignement secondaire a même régressé. Développer l’apprentissage dans l’enseignement supérieur n’a rien de choquant, mais c’est surtout dans l’enseignement secondaire qu’il convient maintenant de faire porter l’effort en la matière.
André-Victor Robert est économiste. Il est l’auteur de La France au bord de l’abîme – les chiffres officiels et les comparaisons internationales, (éd. L’Artilleur, 2024)
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