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Сентябрь
2024

Les silences de l’adolescence

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Le premier roman d’Eliot Ruffel explore l’un des premiers temps de la vie, l’adolescence, cette période de transition où il est si difficile de trouver ses mots. Il se situe entièrement dans une station balnéaire, au bord de la Manche, jamais nommée – même si « la fête du hareng » et les galets de la plage rappellent Dieppe –, au cours d’un été caniculaire, où Max et Lou, les deux héros, vident des canettes de bière, la nuit, sur un bunker, pour oublier leur ennui :

« Avec Max », raconte Lou, « on a décidé de vivre la nuit, de dormir le jour. Au petit matin, dans deux heures, j’irai me vautrer dans mon lit suffisamment imbibé pour m’éteindre jusqu’aux dernières lueurs du jour. On a pris le pli rapidement, celui du rythme inverse. Ma mère et les parents de Max ont réglé l’affaire en nous traitant de branleurs. On a pas bronché, branleurs ou pas, on a rien à faire pendant les vacances, à part en attendre la fin. »

Pères et frères : des modèles défaillants

Max est né dans cette ville où Lou s’est installé avec sa mère un an plus tôt. Du haut du bunker, ils regardent s’en aller les ferrys et se demandent ce qu’est devenu Yvan, le grand frère de Max, parti voir ailleurs pour échapper à une famille mortifère. Les pages qui décrivent les gestes gênés de Max pour dissimuler les bleus laissés par les coups de son père sur ses flancs, un soir de défaite de l’OM devant le PSG, comptent parmi les plus belles du roman. Les mères ont la plus belle part dans cet univers désolé, où elles sont encore capables de tendresse, malgré tout. L’écriture se fait acide pour décrire les rapports de classe dans cette ville balnéaire où les groupes se côtoient sans se parler :

« Chacun a son bar ici, c’est comme une religion. Les connards en chino-bateau fraîchement débarqués de Paris se retrouvent au même bar que nos bobos. Mo l’épicier, non seulement il déteste le Russe sans l’avoir vu mais les bobos d’ici c’est encore autre chose. La plupart du temps, Mo les croise la nuit parce que la journée pour eux c’est Biocoop. »

Écrire les silences

Cette amitié s’inscrit au creux des silences des deux personnages, des jeux qu’ils inventent autour des mots et de tout ce qui ne tiendrait pas dans les mots précisément :

« Des silences j’en ai connu un tas, mais avec Max, pas avec d’autres. Avec lui ça avait du sens que nos paroles ou nos silences en aient pas. Mais avec des inconnus ça change pas mal la donne, surtout que, depuis tout ça, j’ai commencé à en avoir peur des silences, au point que le moindre flottement me terrifie, au point de me mettre à chercher tout et n’importe quoi pour meubler. Un grand appartement témoin qu’on remplirait d’IKEA bien nul juste pour éviter que ça résonne trop fort. »

Le lecteur sera surpris de certaines dissonances dans cette langue qui prend ses aises avec la syntaxe, mais qui se souvient que la locution conjonctive « après que » se construit avec l’indicatif… Peu importent ces détails dans le lissage de l’ensemble. À mesure que Lou fait entendre sa voix, il semble qu’Eliot Ruffel cherche sa voie dans l’écriture, et la trouve dans ce roman pudique de la fin de l’innocence et du temps pour rien.