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Сентябрь
2024

Drames de Mougins et Vallauris : ces chiffres qui contredisent la thèse d'une justice "laxiste"

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Il y a d’abord eu ce gendarme fauché lors d’un banal contrôle le soir du 26 août, à Mougins, par un multirécidiviste des délits routiers, déjà condamné à dix reprises. L’homme avait récupéré son permis en janvier, après quatre mois de suspension liés à un énième écart – une nouvelle conduite en état d’ivresse, en septembre 2023. Soumis à un dépistage au moment de son interpellation, le lendemain matin, il présentait encore un taux supérieur à 1 gramme d’alcool par litre de sang.

Trois jours plus tard, à Vallauris, toujours dans les Alpes-Maritimes, la petite Kamilya, 7 ans, était à son tour percutée par une moto alors qu’elle se trouvait sur un passage piéton. La fillette a succombé à ses blessures ce dimanche. L’engin à l’origine de sa mort était piloté par un jeune de 19 ans, qui remontait une file de voitures en effectuant un “wheeling” (sur la roue arrière).

« Aucun respect pour notre fille »

Alors que le parquet et le juge d’instruction qui l’a mis en examen réclamaient son incarcération, le juge des libertés et de la détention, chargé de statuer sur son sort immédiat, a pris une décision inverse : le motard, jamais condamné jusque-là, a été placé sous contrôle judiciaire « strict », avec l’obligation, entre autres, de pointer au commissariat deux fois par mois et de ne pas entrer en contact avec les proches de la victime (*).

Deux drames, deux vies fauchées, et pour certains, une même coupable : la justice. « La France a tué mon mari par son insuffisance, son laxisme et son excès de tolérance », s'est révoltée la veuve effondrée de l’adjudant décédé. « Merci la justice française. Aucun respect pour notre fille ni pour nous-mêmes », a de son côté dénoncé le papa de Kamilya, « consterné », selon son avocat, de voir le mis en cause échapper, à ce stade, à la détention.

Photo Corentin Garault

La souffrance et la colère des parties civiles ont comme toujours trouvé un écho immédiat dans une partie de la classe politique, extrême droite en tête. Extraits : « L’Etat est intraitable avec les innocents, lâche avec les coupables » (Eric Zemmour) ; « Voilà où mènent le laxisme de l’Etat, le “pas de vague” face à la barbarie, la tolérance pour les comportements les plus nuisibles [...] Rétablissons une justice qui punit sévèrement » (Jordan Bardella).

 

Le contrôle judiciaire décidé pour l'heure dans l’affaire de Vallauris illustre bien ce fossé entre émotion et droit : « La loi française, reprend Matthieu Quinquis, stipule clairement que la liberté doit être la règle, et la prison, l’exception. La détention provisoire ne peut donc être ordonnée que sous certaines conditions bien précises, s’il existe par exemple un risque de destruction de preuves ou de fuite du mis en cause. Les règles s’appliquent dans un cadre strict. Cela n’a rien à voir avec une quelconque permissivité des juges. »

Surpopulation carcérale et peines plus longues

Le responsable de l’OIP en France estime plus largement que les accusations récurrentes de « laxisme » sont « totalement caricaturales et contraires à la réalité ». « La justice française n’hésite pas à mettre en oeuvre les mesures les plus répressives. Il suffit d’assister à une audience de comparutions immédiates pour constater qu’elle est une machine à incarcérer. »

La preuve ? Les prisons françaises sont à saturation, et accueillaient au 1er août 78.397 détenus (+5,6 % sur un an) pour 62.021 places disponibles, selon les données du ministère. Autres contre-arguments avancés par Matthieu Quinquis : « Lors du premier quinquennat Macron, pas moins de 120 infractions ont été créées ou plus sévèrement réprimées, signe d’un durcissement incontestable. La durée moyenne des peines d’emprisonnement prononcées, elle, a quasiment doublé entre les années 80 et aujourd’hui, passant de 5,8 mois à près de 11 mois. »

« Tous les éléments objectifs vont complètement à rebours de la description fantasmatique qui est faite de notre appareil judiciaire. »

A l’opposé des appels à « plus de sévérité et de répression », l’avocat parisien dénonce « ce réflexe très français qui consiste encore à brandir la prison comme la solution magique à tous les maux, alors que toutes les études montrent au contraire. L’incarcération est un moment de fragilisation des liens sociaux, familiaux. Elle casse tout ce qui constitue des “facteurs de protection”, y compris pour l’avenir du détenu. Il y a urgence à engager une vraie réflexion sur le sujet. » 

Stéphane Barnoin

(*) Le parquet a décidé de contester cette mesure. Sa requête sera examinée le 10 septembre par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui pourra confirmer le jugement de première instance ou placer le suspect en détention provisoire.