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Mostra de Venise 2024 : “The Room Next Door”, un Pedro Almodóvar magistral

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Pour son premier long métrage en anglais (après trois courts et moyens, dont deux interprétés par Tilda Swinton, déjà) Pedro Almodóvar nous offre un mélodrame adapté d‘un roman de Sigrid Nunez : l’histoire d’une femme qui sait qu’elle va mourir d’un cancer et qui décide de mettre fin à ses jours. Un film dont le sujet apparent serait l’amitié et surtout l’euthanasie, sujet de société moult fois rebattu dans les médias, dans les assemblées des démocraties du monde entier – problème que nous ne sommes pas près de régler en France… La femme en question, Martha, demande à l’une de ses plus vieilles amies, Ingrid, de l’accompagner dans une maison de campagne ultramoderne et somptueuse, et d’être présente dans la pièce voisine lorsqu’elle avalera le cachet fatal. Si, en se levant le matin, la porte est fermée, c’est qu’elle sera passée à l’acte.

La femme en fin de vie, Martha, est une reporter de guerre célèbre (Tilda Swinton, géniale), sa meilleure amie, Ingrid, une romancière à succès (Julianne Moore, admirable, au service de Swinton). Elles se connaissent depuis des décennies, s’étaient perdues, mais ont de forts souvenirs en commun – elles ont notamment couché avec le même amant fougueux, aujourd’hui devenu un spécialiste reconnu en collapsologie (John Turturro, la classe absolue).

Jeux de miroirs

Tout cela se déroule d’abord à New York : le décor est magnifiquement éclairé et décoré, les actrices enchaînent les tenues les plus tendance (surtout Tilda Swinton qui change de vêtements quasiment à chaque plan, j’exagère), on y parle couramment de Woolf, Faulkner, Hemingway, et surtout de James Joyce, et tout le monde est riche et célèbre. Cela pourrait irriter – même si le cinéma mélodramatique hollywoodien flamboyant de Douglas Sirk (souvent cité ici), Vincente Minnelli ou Leo McCarey (Elle et lui) se déroule rarement dans des milieux pauvres (même si cela arrive), et ça ne nous dérange pas le moins du monde.
Seulement Pedro Almodóvar est un immense cinéaste. The Room Next Door n’est, en aucun cas, un film sociétal sur les questions de fin de vie et de l’aide à mourir. Il devient vite évident que notre ami espagnol est en train de tourner un film de fantômes, de morts qui ne sont pas morts, de revenants (la fille de Martha qui a toujours détesté sa mère), qu’il nous entraîne une fois de plus dans son univers romanesque, dans des jeux de miroirs, de reflets dans les vitres qu’on pourrait tout aussi bien appeler des souvenirs ou des mensonges.

Magistral

La phrase est célèbre : Truffaut disait qu’Hitchcock filmait les “scènes d’amour comme des scènes de meurtre et les scènes de meurtres comme des scènes d’amour”. Almodóvar filme les scènes d’amitié comme des scènes de crime et les scènes de suicide comme des cris d’amour. Le fait est que les spectateur·ices se demandent parfois si Martha n’est pas en train d’entraîner Ingrid dans un piège, de la manipuler. Et ce sentiment qui nous étreint ne naît de rien d’autre que de la mise en scène.

Almodóvar touche à la fois au mélodrame le plus cliché et à la plus pure abstraction, au degré le plus élevé du cinéma : derrière l’apparente histoire d’amitié et de suicide assisté, se déploie tout un monde de fantasmes, pas forcément plaisants, mais humains, qui passent le pont et s’approchent de nous pour nous envoûter et nous diriger. Le résultat est magistral.

The Room Next Door de Pedro Almodóvar avec Tilda Swinton et Julianne Moore