Mostra de Venise 2024 : pourquoi la “Maria” de Pablo Larraín est une catastrophe
Dieu sait que nous avions salué très tôt (en 2008 à la Quinzaine des réalisateurs), l’éclosion du cinéaste chilien Pablo Larraín, auteur de premiers films glaçants, abordant souvent de biais, le coup d’État de Pinochet de 1973, la chute et la mort d’Allende, la diaspora chilienne de gauche, etc. Ces films admirables avaient pour titre Tony Manero, Post mortem, No, et mettaient en scène le grand acteur Alfredo Castro.
Depuis 2017 et son film plutôt réussi Jackie (avec Natalie Portman), il a décidé, avec la maison de production qu’il a cofondée avec son frère, de se consacrer à des sujets people et surtout larmoyants, de plus en plus opulents et “grandioses”. Après Jackie Kennedy et la princesse Diana (Spencer), voici l’histoire des sept derniers jours de La Callas, la grande rivale de l’ancienne Première dame des États-Unis (l’armateur et milliardaire grec Aristote Onassis épouse en octobre 1968 la veuve du président, larguant comme une vieille chaussette la chanteuse lyrique).
Une croûte
Pablo Larraín, qui n’a pas cinquante ans, possède désormais un savoir-faire de cinéaste indéniable : de beaux mouvements de caméra, des dialogues incisifs et drôles, des décors somptueux, une image en clair-obscur presque publicitaire à force d’être lisse, des acteur·ices dirigé·es au cordeau (rien à redire sur la « performance » d’Angelina Jolie, même si ce n’est justement qu’une performance) et choisi·es pour leur talent incontestable et leur aura internationale (Alba Rohrwacher, Pierfrancesco Favino, Valeria Golino, et même Vincent Macaigne, le dernier médecin de Maria Callas, le Dr Fontainebleau, sic). Une idée de mise en scène est aussi très réussie, quand il décide par exemple de personnifier par un acteur son hypnotique préféré, dont elle se nourrit à longueur de journée. De la belle ouvrage.
Le sujet – la carrière triomphale et intimement tragique d’une chanteuse d’opéra morte à 53 ans d’une embolie pulmonaire a tout pour faire pleurer dans les chaumières. Et le “best of La Callas” embellit bien évidemment les images de ce bel canto. Seulement ce genre de tableau bien fabriqué à la pâte très épaisse porte un nom en français : une croûte. Maria est une croûte et ne dégage aucune émotion, sinon de la pitié et de la sympathie pour une diva seule, abandonnée, entourée d’une couple de domestiques adorables qu’elle martyrise, même gentiment, fuyant le monde réel, s’enfonçant dans sa dépression et l’usage abusif de médicaments. Tout plaira aux lecteur·ices de la presse à sensation et aux cœurs d’artichaut. Mais pour le cinéma ? Nous aimerions que Larraín revienne à un cinéma plus modeste, et peut-être aussi un petit moins cynique – le film pue l’Oscar d’interprétation féminine pour Jolie.
Courses hippiques et scènes de danse
L’entreprise de l’Argentin Luis Ortega, El Jockey, également en compétition, est beaucoup plus sympathique, légère, sans prétention. L’auteur de L’Ange nous propose le portrait pathétique et hilarant d’un jockey célèbre mais junkie (ici aussi, comme chez Larraín, il est beaucoup question de drogues), joué avec sa maestria habituelle par le cher Nahuel Perez Biscayart (120 Battements par minute, La Fille de son père).
Des histoires de corruption sur fond de courses hippiques auxquelles on ne comprend pas tout, mais qui donnent des scènes de chevaux, de danses et de délires assez réjouissantes et totalement queer (versus le patriarcat crétin et figé des truands des hippodromes). Les différences entre les hommes et les femmes disparaissent très rapidement et les sexualités se mélangent allègrement. Le film d’Ortega est loin d’être un chef-d’œuvre (le scénario s’épuise assez rapidement pour tomber dans la redite), mais il a quelque chose de réjouissant, de vivant, de vrai, de frais qui tranche avec la fascination de Pablo Larraín pour les femmes mortes.