[Rentrée littéraire 2024] 18 romans étrangers pour prolonger le voyage
Nathan Hill, Bien-Être (Gallimard/“Du monde entier”)
Jack et Elizabeth se sont rencontré·es étudiant·es à Chicago et, vingt ans plus tard, il et elle sont toujours ensemble. Dans ce texte à la construction vertigineuse, où une chronologie éclatée retrace dans le désordre le passé des personnages, où des digressions sur l’histoire de l’art racontent l’évolution de la société américaine, l’auteur des Fantômes du vieux pays (Gallimard, 2017) tisse un réseau de correspondances pour étayer une démonstration et dresser un constat : un couple, comme un pays, se construit sur des mythologies.
Eva Baltasar, Mammouth (Verdier)
Comme dans son précédent texte, Boulder (Verdier, 2022), l’autrice catalane met en scène une narratrice solitaire, homosexuelle, qui s’oblige à coucher avec des hommes pour être enceinte. Baltasar questionne ici le désir d’enfant de manière inédite – on ne vous dira pas en quoi – et crée un personnage qui se met à l’épreuve, quitte Barcelone, renonce à sa vie, s’isole dans un environnement hostile. Un texte dérangeant, porté par la phrase de Baltasar, à la fois crue et poétique, lourde d’une violence contenue.
Camila Sosa Villada, Histoire d’une domestication (Métailié)
On avait découvert Camila Sosa Villada avec Les Vilaines, premier roman autobiographique saisissant. Dans Histoire d’une domestication, l’écrivaine argentine quitte la communauté queer fauchée des parcs de Córdoba pour évoquer la “domestication” d’une célèbre actrice trans qui décide de se marier et d’adopter un enfant. Avec son style féroce et cru, Sosa Villada s’attaque à l’embourgeoisement, à la famille comme institution et à l’hypocrisie du milieu de la culture.
Katja Schönherr, La Famille Ruck (Zoé)
Après Marta et Arthur (2021), l’écrivaine suisse-allemande poursuit son massacre à bas bruit des secrets de famille. Soit la tribu Ruck, sise dans un bled de l’ex-Allemagne de l’Est hanté par moult fantômes. Inge la matriarche, vieille dame odieuse, est assignée à résidence après une mauvaise chute. Carsten, son fils aîné, se trouve ainsi réquisitionné pour veiller sur sa terrible maman avec Lissa, sa fille, ado écolo et casse-pieds. Trois générations de fracassé·es, croquées avec un humour vache qui fait de cette saison en enfer un paradis littéraire.
Sang Young Park, S’aimer dans la grande ville (La Croisée)
À 36 ans, Sang Young Park est l’une des sensations de la littérature sud-coréenne. Dans S’aimer dans la grande ville, son premier roman traduit en français, il retrace le quotidien d’un homme gay à Séoul et aborde avec une sincérité désarmante et beaucoup d’humour de nombreux sujets encore tabous dans son pays : l’homosexualité, le sida et la profonde solitude de la génération Y. Son roman est en cours d’adaptation au cinéma et en série.
Deborah Willis, Girlfriend on Mars (Rivages)
Kevin pensait passer les prochaines années de sa vie à fumer des joints sur son canapé avec sa petite amie Amber. Son monde s’écroule quand il apprend qu’elle a été retenue pour un programme de téléréalité dont le but ultime est de s’installer sur Mars. Sous ses airs de récit faussement léger, le roman de l’autrice canadienne Deborah Willis est une satire très drôle sur le New Space de Musk et Bezos, sur les réseaux sociaux et sur notre dissonance cognitive face au réchauffement climatique.
Mariana Enriquez, La Petite Sœur – Un portrait de Silvina Ocampo (Éditions du sous-sol)
L’autrice argentine est connue en France pour ses œuvres de fiction horrifiques et politiques. Dans La Petite Sœur, elle utilise ses talents de journaliste pour tirer le portrait de Silvina Ocampo, contemporaine de Borges et autrice d’une œuvre étrange et singulière. Enriquez part sur les traces de cette femme mystérieuse, plus connue dans son pays pour sa personnalité hors norme que pour ses nouvelles. Elle retrace aussi, en creux, une passionnante histoire de la littérature fantastique en Argentine.
Maria Grazia Calandrone, Ma mère est un fait divers (Globe)
En 1965, Maria Grazia Calandrone est abandonnée devant la luxueuse Villa Borghèse à Rome alors qu’elle n’a pas encore 1 an. Après avoir informé la presse de son identité, ses parents se suicident. Devenue journaliste et autrice, Calandrone enquête sur cette mère qui a fui un mariage malheureux et violent, et sur son suicide médiatisé. Ce roman hybride, marqué par un mélange de prose et de vers, évite tout classicisme et dresse le portrait d’une société implacable envers les femmes qui sortent du rang.
Agnieszka Szpila, Hexes (Notabilia)
Une cheffe d’entreprise qui se rebiffe, une légende médiévale sur une communauté féminine persécutée par l’Église, un mythe des origines fondé sur une déesse-mère, une dystopie, un manifeste écoféministe. Traduite pour la première fois en français, l’activiste polonaise Agnieszka Szpila signe ici un texte totalement inclassable qui prône une sexualité “inspirée de la vie des plantes et non de celle des animaux”. Radical, dérangeant, porté par une langue crue, c’est un réjouissant appel à la révolte.
Rachel Cusk, Parade (Gallimard)
Un artiste se met à peindre ses sujets la tête en bas (façon Georg Baselitz), et sa femme ne sait plus trop comment se positionner auprès de son mari. Dans son douzième roman, et l’un de ses meilleurs, l’autrice anglaise interroge les liens entre l’art et la vie, et les rapports entre les genres. Ça pourrait sonner cliché si ce n’était pas aussi bien fait, en mêlant l’influence que Virginia Woolf a toujours exercée sur elle à un projet qui devient peu à peu conceptuel. Dans Parade, tous·tes les artistes, hommes ou femmes, s’appellent mystérieusement “G.”. Il y a aussi une narratrice énigmatique, installée à Paris – comme Cusk herself.
Gabriella Zalapì, Ilaria ou La Conquête de la désobéissance (Zoé)
Ce troisième livre constitue une étape dans le travail littéraire de Zalapì, qui construit de nouveau un texte à partir d’un matériau autobiographique, mais sans l’accompagner de photos cette fois. La narratrice se souvient comment, petite fille, elle a été enlevée par son père, embarquée de force pendant des mois dans une cavale à travers l’Italie aux côtés de cet homme à la dérive. Comme toujours, tout tient sur la phrase de Zalapì, précise et tranchante, une économie de mots qui laisse deviner sans dire.
Véra Bogdanova, Saison toxique pour les fœtus (Actes Sud)
Devenu la lecture de chevet de toute une génération de jeunes femmes en Russie, le second roman de Véra Bogdanova est un conte d’une noirceur infinie sur les violences patriarcales et sur la manière dont elles affectent toute la société. Sa fresque suit l’itinéraire d’une fratrie qui, déçue par les promesses illusoires du capitalisme et broyée par l’alcool, finit par reproduire le racisme et la brutalité de ses aîné·es. Un roman sans espoir mais plein d’intelligence.
James Ellroy, Les Enchanteurs (Rivages/“Rivages Noir”)
Ellroy sur Marilyn Monroe, on en rêvait autant qu’on y avait renoncé. Le romancier de l’hyper-noir et des coulisses du Hollywood Golden Age, des magouilles entre flics corrompus, mafieux, politiques et monde du cinéma “s’attaque” enfin au mythe et au cliché hollywoodien par excellence, à la victime par excellence, à ce réacteur à multiples théories du complot qu’est Monroe. Et il réactive son personnage fétiche, le privé pourri Fred Otash, pour plus de 600 pages de prose percutante.
Pedro Almodóvar, Le Dernier Rêve (Flammarion)
“Je me savais écrivain depuis l’enfance”, confie le cinéaste dans l’introduction de son tout premier livre. “Si je n’ai jamais eu de doute quant à ma vocation littéraire, en revanche je n’ai jamais été sûr de la réussite de mes écrits.” En effet, Almodóvar a bien fait de devenir cinéaste, mais avouons qu’on est extrêmement touché·es de lire ce recueil de textes comme autant d’esquisses, ou d’extensions obsessionnelles, de son travail cinématographique, révélant, au fond, la part intime, personnelle, de chacun de ses films. Une forme d’autobiographie morcelée.
Michelle Tea, Valencia (Hystériques & AssociéEs)
Livre culte de la littérature lesbienne aux États-Unis, le roman autobiographique de Michelle Tea est enfin traduit chez nous, vingt-trois ans après sa parution. Née en 1971, figure de la scène queer, Tea raconte sa propre vie à travers celle de sa narratrice, Willa, serveuse dans un bar lesbien, et l’exploration de ses amours et de ses amitiés. Langage direct et scènes de sexe explicites sont au programme, mais pas seulement. Valencia est aussi une plongée excitante dans les milieux underground de San Francisco dans les années 1990.
Leila Guerriero, Le Fantôme de Truman Capote (Rivages)
Le 30 septembre, on célébrera le centenaire de la naissance de Truman Capote. Au tout début des années 1960, loin de ses Swans (voir cette année la géniale série de Gus Van Sant), l’écrivain travaillait sur De sang-froid à Palamós, sur la Costa Brava. Lors d’une résidence d’écriture dans le même village en 2023, Leila Guerriero, figure argentine de la narrative nonfiction, part sur ses traces, tout en y mêlant des bribes de sa propre vie, construisant un fascinant puzzle narratif. À noter, la réédition de la correspondance de Capote, avec le long entretien qu’il donnait au New York Times, sous le titre Quatre Meurtres et un bal en noir et blanc (Rivages).
Célestin de Meeûs, Mythologie du .12 (Éditions du sous-sol)
Auteur venu de la poésie, De Meeûs décortique avec une précision rare les pensées de ses deux personnages que tout sépare : un jeune homme qui zone un soir d’été sur un parking avec un copain, un médecin qui rentre chez lui profiter de sa maison individuelle chèrement acquise. À l’insouciance et l’errance, Célestin de Meeûs oppose l’ambition et l’enfermement. On comprend vite que quelque chose de terrible va advenir, et une tension angoissante envahit de page en page ce premier roman très actuel, qui se révèle très noir.
Justin Torres, Blackouts (Éditions de l’Olivier)
Il y a douze ans, Justin Torres était sous le feu des projecteurs avec son premier roman Vie animale, best-seller adapté depuis sur grand écran (We the Animals). Il revient enfin avec un deuxième texte formellement passionnant qui mêle archives queer, photographies, dessins, conversations entre deux générations d’homosexuels et réflexion profonde sur la fiction et sur la façon dont l’Histoire est écrite par les dominants. Un ovni qui confirme le talent de l’écrivain américain.