Garde républicaine : derrière les paillettes des JO, les failles d’une "unité d’élite"
Qui eût cru qu’au cœur de l’été, les soldats de la Garde républicaine deviendraient le symbole de la France des Jeux olympiques, celle, joyeuse, capable de (ré)unir une société affichant ses divisions dans les urnes quelques semaines auparavant ? Il leur a suffi de quelques apparitions, entre le 26 juillet et le 11 août, pour réussir ce prodige. Il y eut bien sûr ce tableau de la cérémonie d’ouverture sur le pont des Arts où ils partagèrent un improbable pas de danse avec la chanteuse Aya Nakamura. Plus tard, on les a vus jouer dans le métro, puis faire danser la foule devant le Sacré-Cœur avec le tube Freed from Desire de Gala, devenu, avec ses "nanananana", l’hymne des sportifs français.
Chaque fois, on les applaudit, on les félicite, on les remercie pour leur bonne humeur. Gabriel Attal, encore Premier ministre, salue leur performance avec Aya Nakamura d’un "Nommez un meilleur duo, j’attends" ; les sympathisants de gauche se réjouissent d’un "n’en déplaise aux fachos". Durant les Jeux paralympiques tout juste ouverts, spectateurs et Parisiens guetteront les uniformes bleus galonnés d’or et les shakos surmontés d’un plumet de la "Garde" dans l’espoir d’un nouveau moment inédit.
Il s’en est pourtant fallu de peu pour que la "magie des Jeux" n’agisse pas. Le 18 juillet, en effet, par un de ces hasards de calendrier dont elle a le secret, la Cour des comptes a dévoilé un sévère rapport sur ce corps de 3 000 gardes, dont le coût s’est élevé à 230 millions d’euros en 2022. Parmi les critiques contenues dans ce document d’une centaine de pages : "une Garde républicaine à deux vitesses", "une attractivité et une fidélisation hétérogène", mais aussi "des tensions entre missions historiques et nouvelles, des unités sur-mobilisées et sous-utilisées, et un budget initial insuffisant". Euphorie des Jeux, torpeur estivale, le document est passé inaperçu. Il n’en est pas moins révélateur des faiblesses d’une unité d’élite de la gendarmerie nationale.
De la Garde républicaine, les Français ne connaissent souvent que quelques images, faites de solennité et de prestige de l’uniforme : la parade de ses 500 cavaliers lors du défilé du 14 Juillet ; les prestations de ses 300 musiciens ; le panache de ses gardes lors des cérémonies d’hommage ou lors des visites officielles – en septembre 2023, ils accompagnaient en grand apparat la descente des Champs-Elysées d’Emmanuel Macron et de Charles III lors de la première visite du souverain britannique en France. Pourtant, l’essentiel de la mission de la Garde républicaine est ailleurs, loin des paillettes et du glamour.
Faible attractivité
Depuis 1848, sa première responsabilité est de sécuriser une partie des palais accueillant les institutions de la République. L’Elysée bien sûr, Matignon, mais aussi l’Assemblée nationale, le Sénat, le Quai d’Orsay ou le Conseil constitutionnel. Neuf lieux au total sous la garde de ses "compagnies de sécurité et d’honneur". Mais contrairement à celui des cavaliers et des musiciens, le quotidien de ces unités ne fait pas rêver. Et plus grave, selon la Cour, leurs conditions de travail (plus de 10 gardes par mois, des moyennes quotidiennes de travail proches de douze heures, des rappels de gendarmes en repos ou en récupération) pénalisent l’accomplissement de leur mission.
"Cette forte sollicitation des compagnies de sécurité et d’honneur en termes de temps de travail et de disponibilité affecte directement les temps de formation et d’entraînement. Ces temps ont été réduits de 25 % entre 2019 et 2023", insistent les magistrats. Qui alertent aussi sur la faible attractivité de ces compagnies, mesurable par "une sur-représentation des deux derniers déciles du classement de sortie d’école de gendarmerie au sein de la Garde". En clair, les meilleurs éléments choisissent d’autres affectations.
En 2013, déjà, dans un bref document de trois pages, la Cour des comptes adressait un sévère avertissement à la Garde républicaine. Dans ce "référé", elle jugeait le service rendu en matière de sécurité bien faible au regard du coût de l’institution. Elle remarquait notamment que "les missions de la Garde répond[ai]ent davantage à des objectifs de prestige qu’à des besoins de sécurité : les gardes républicains statiques ne seraient pas en mesure à eux seuls de faire face, par exemple, à des tentatives d’intrusion organisées". Onze ans plus tard, le propos de la Cour est plus mesuré, elle prend acte de progrès, mais elle mentionne, dans son introduction, l’attaque contre le Capitole à Washington en 2021 ou à Brasilia peu après, manière de rappeler l’importance de la sécurisation des palais dans un monde politique plus instable que jamais.
Elle suggère quelques correctifs pour améliorer l’attractivité des compagnies de sécurisation. Visées ? Des inégalités de traitement difficilement compréhensibles. Ainsi, selon que le gendarme est affecté à tel ou tel palais, il ne va pas toucher la même prime. Mieux vaut, en effet, être rattaché au Sénat, où elles varient de 2 000 à 42 000 euros, à l’Elysée (de 2 760 à 9 216 euros) ou à Matignon (de 2 200 à 24 000 euros) plutôt qu’au Conseil constitutionnel, au Palais de Justice ou à l’Hôtel de Brienne (Armées), où elles n’existent pas. Or, selon la Cour des comptes, rien ne justifie cette différence : "Il n’est pas établi que ces primes dépendent d’une quelconque appréciation du chef du détachement ni ne soient fondées sur des sujétions particulières auxquelles les gardes seraient soumis."
La relève de la Garde de retour devant l'Elysée
Entre les différentes unités de la Garde, les inégalités se mesurent aussi en temps de travail et en prestige. Ainsi, alors qu’un quart des fantassins réalisent plus de 10 gardes par mois, 32 % en effectuent cinq ou moins. Parmi les privilégiés, les pelotons d’intervention, venus, par exemple, en soutien lors du rassemblement autour de la méga-bassine de Sainte-Soline. Ils ont une durée moyenne de travail quotidienne inférieure de près de deux heures à celle des unités sécurisant les palais.
Mais c’est avec les cavaliers et les musiciens que les écarts sont les plus flagrants. Un cheval coûte, par exemple, 130 000 euros par an (à multiplier par 480), pour un temps d’activité effectif assez faible. Un coût incompressible, selon la hiérarchie, en raison des contraintes (nombre minimal de chevaux) liées au défilé du 14 Juillet. L’explication ne convainc pas les magistrats : "Le régiment de cavalerie ne peut se contenter du statu quo en légitimant son fonctionnement sur les cérémonies protocolaires réalisées et le fait qu’il constitue un des éléments essentiels de l’image de la Garde." Et de les inviter à trouver d’autres missions pour justifier de leur existence.
Quant aux formations musicales, stars de Paris 2024, ses membres sont mieux lotis encore, avec les possibilités qui leur sont offertes de réaliser des prestations à l’extérieur, d’améliorer leur solde par des cachets d’un montant moyen de 800 euros bruts mensuels mais qui peuvent aller jusqu’à 1 400 euros, des conditions matérielles avantageuses… Des petits plus qui rendent le corps attractif mais sur lesquels la Cour des comptes, toujours soucieuse de l’utilisation des deniers publics, appelle à une plus grande vigilance.
En 2023, un nouveau général a été nommé pour commander la Garde républicaine. Soucieux de l’image de son institution auprès du grand public, Charles-Antoine Thomas a plaidé pour la réinstauration un mardi par mois de la relève de la Garde devant l’Elysée, à la manière des Horse Guards britanniques devant Buckingham Palace. En matière de réforme de fond, il a promis un plan d’actions sur trois ans, jusqu’en 2026. Si elle en prend acte, la Cour n’a pas pu en mesurer les effets. Malgré la très séduisante opération de communication autour des JO, elle se refuse encore à entonner For me formidable en visitant les arrière-cours de la Garde.