Ils étaient quatre…
Philippe Bilger se souvient de quatre grands avocats qui manquent à ceux qui les connaissaient mais qui restent présents comme des modèles pour leur profession.
Il y a des titres ambigus qui me plaisent. Parce que celui que j’ai choisi fait référence à quatre immenses avocats disparus, aux personnalités tellement dissemblables que les définir par ce chiffre est sans doute la méthode la plus appropriée.
Ils manquent à leurs amis, dont j’étais, à leur famille, au monde judiciaire, à la vie intellectuelle, à la passion d’exister, on ne les a pas remplacés parce qu’en chacun d’eux il y avait une force, une singularité, une puissance, une liberté, une simplicité (cette qualité est rare chez nos petits maîtres d’aujourd’hui) qui les constituaient, chacun, comme uniques.
Ils ne se ressemblaient pas mais s’estimaient, s’admiraient. Deux d’entre eux avaient un profond compagnonnage, les mêmes origines, presque le même parcours. Il y avait aussi le maître de l’éloquence venue de l’école aixoise, la superbe voix qui dans l’exaltation, l’indignation, l’argumentation, convainquait souvent, ne se décourageait jamais, avait pour ennemie la peine de mort et a suscité beaucoup d’imitateurs qui avaient tout de lui sauf l’essentiel qui était la parole incroyablement en mouvement. Il y avait enfin mon maître en courage et en rigueur, la froideur apparente dans une énergie en feu et une intelligence indépassable, la foudre du verbe, le respect des juges quand ils le méritaient sans, jamais, la moindre complaisance.
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Pourquoi ai-je eu envie, dans une période qui prête davantage à la facilité, à la futilité qu’à l’émotion et à la nostalgie, de faire revenir dans ma mémoire ces quatre personnalités d’exception qui étaient de surcroît des avocats inouïs alors qu’il me semble que dorénavant on a seulement des conseils et on verra après s’il y a de la culture, de l’humanité, de la vérité…
Peut-être parce que ces périodes apparemment creuses où le temps se traîne ou va trop vite sont aussi destinées à combler les failles, les béances, les lacunes, à estomper les déceptions grâce au retour éclatant, en pleine lumière, de ces quatre que j’ai eu le bonheur de côtoyer, que j’ai affrontés. Et à l’issue des joutes, j’étais fier d’avoir gagné et, si j’avais perdu, j’étais fier que cela ait été à cause d’eux…
L’homme de l’éloquence aixoise devenu une référence dans les cours d’assises, à Paris et ailleurs, Jean-Louis Pelletier, bien sûr. Dans les deux inséparables fougueux, totalement complices, avocats authentiques jusqu’au bout des ongles, on a évidemment reconnu Pierre Haïk et Hervé Temime. Enfin, qui a pu se tromper sur l’identité du porteur de foudre et de cet ascète judiciaire qu’était Thierry Lévy ?
Je pense à eux.
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