Chute libre en Rafale
Quand le président de la République s’est rendu au défilé du 14 juillet, cette année, il a révélé de manière parfaitement involontaire l’étendue du déclin de l’industrie française. Où est passée notre politique industrielle de la grande époque?
Parmi tous les Rafale ayant défilé le 14 juillet le plus remarqué aura certainement été le Renault Rafale présidentiel, nouveau véhicule officiel de la République française. Sa principale originalité ne réside pas dans sa calandre lumineuse tricolore mais plutôt dans le fait que, pour la première fois, le véhicule présidentiel n’est pas fabriqué en France (le Rafale étant fabriqué en Espagne). Plutôt que clou du spectacle il s’agit plutôt d’un clou planté dans le cercueil de ce qui fut une industrie florissante et qui n’est plus désormais que l’ombre d’elle-même, la France n’ayant assemblé en 2023 que 1,5 million de véhicules, contre 3,5 millions en 2005. Elle figure désormais au 12ème rang mondial, derrière la Thaïlande ou le Canada[1]. Dans la pièce de théâtre qu’est la communication politique macronienne, c’est un rappel cruel de la réalité du rapide déclin de l’économie française dans le monde.
Pourtant la production automobile Made in France offrait encore à notre Président la possibilité de choisir dans la vaste palette des messages suivants :
- Exemplarité : avec un véhicule électrique, celui-là même que l’on demande au bon peuple d’acheter avec diligence et sourire : Renault Scénic (Douai) ;
- Gaullisme : avec la C5 Aircross, seule Citroën assemblée en France (Rennes) ;
- Bling-Bling : avec les nouvelles Peugeot 3008 et 5008 (Sochaux), excellents véhicules au style cependant un peu chargé, qui offrent également une motorisation 100% électrique ;
- Classicisme : avec une Peugeot 508 (Mulhouse), berline traditionnelle survivant dans un monde de SUV ;
- Provocation : avec un Grenadier, 4×4 massif assemblé en Moselle sur l’ancien site de Smart, qui pourrait être le pendant français de « The Beast », la Cadillac du POTUS (président des Etats-Unis), même si sa faible valeur ajoutée française et son bilan écologique sont discutables ;
- Misérabilisme : avec une Renault Kangoo (Maubeuge), une façon de draguer un peu lourdement l’électeur ouvriériste égaré à l’estrèmedrouate ; par ailleurs un avant-goût du standing que nous réservera le FMI lorsqu’il aura mis la France sous tutelle ;
- Sobriété : dans un pays censément « géré à l’euro près » (selon la plaisante affirmation de notre Bruno Le Maire national), conserver la DS7 présidentielle (Mulhouse) qui ne date que de 2017. Le véhicule le plus écologique étant celui que l’on ne fabrique pas, ce choix concilierait élégamment « fin du mois et fin du monde », et évoquerait le souvenir de Jacques Chirac célébrant sa victoire de 1995 à bord d’une antique CX. L’âge moyen du véhicule mis à la casse en France étant de 19 ans, ce choix enverrait un signal fraternel envers les automobilistes contraints de faire durer leur véhicule au maximum.
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Le plus triste dans ce choix présidentiel d’un porte-drapeau étranger n’est cependant pas le rôle joué par notre Président (car qui désormais se nourrit encore d’illusions sur sa capacité à choisir le bien commun ?), c’est le silence assourdissant avec lequel il a été accueilli, silence que n’a troublé aucune voix politique, syndicale ou patronale majeure, et que très peu de journalistes ont commenté : si L’Usine Nouvelle ou Challenges (via le toujours pertinent Alain-Gabriel Verdevoye) ont sauvé l’honneur, le Figaro par exemple ne mentionne même pas son lieu de fabrication dans l’article pourtant consistant consacré au nouveau carrosse présidentiel. Ce silence de mort symbolise brutalement le désintérêt profond des Français pour l’industrie, désintérêt en même temps cause et conséquence du déclin de cette même industrie.
Renault Caudron Rafale Esprit Alpine, Salon du Bourget, le 19 juin 2023. (NICOLAS MESSYASZ/SIPA, 01117492_000002)
Pourtant le rôle d’un Président soucieux de défendre notre industrie, ce n’est pas d’arborer une casquette McCain pour annoncer emphatiquement l’ouverture d’ une nouvelle ligne de production de frites en France, c’est d’incarner par une vision, des actes et des symboles la souveraineté industrielle telle que définie et mise en œuvre avec succès par De Gaulle puis Pompidou : bâtir et défendre des entreprises françaises de classe mondiale dans les secteurs clé, concevant et produisant sur le sol national. Renoncer à cette politique industrielle signifierait se contenter des quelques créneaux que nous concède la concurrence internationale : principalement avions, sacs à main, vin et tourisme : de beaux restes mais insuffisants pour maintenir notre rang politique dans le monde et notre niveau de vie – un aller sans retour vers la tiers-mondisation et la sortie de l’Histoire pour notre pays.
[1] Source 2023 statistics | www.oica.net.
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