Le Cantal des cinq AOP : découvrez le « triangle d'or » des fromages d'Auvergne
Pourquoi ce fromage et pas un autre ? « Parce que j’ai été élevée tôt, très tôt dans la marmite du saint-nectaire », s’amuse Fabienne Aiguesparses. Avec Éric et Matthieu, son mari et son fils, cette agricultrice a fondé le Gaec de Condeval : 137 ha de prairies naturelles dispatchées à Marcenat, Condat et Montgreleix. Trois des quinze communes du Cantal formant le « triangle d’or » des fromages d’Auvergne. Située au nord-est du département, cette zone a la particularité de figurer dans les cinq cahiers des charges des cinq AOP : cantal, salers, bleu d’Auvergne, fourme d’Ambert et saint-nectaire.
Fabienne Aiguesparses avait donc l’embarras du choix, mais a préféré « perpétuer » le savoir-faire transmis par sa mère. « Qu’on le veuille ou non, le saint-nectaire est une affaire de femmes… et de traditions », souligne-t-elle. De tout temps, effectivement, la fabrication de ce fromage fermier était confiée aux femmes, les hommes s’occupant quant à eux de l’exploitation, à plus de 1.100 mètres d’altitude.
Le saint-nectaire primeLe Gaec de Condeval ne déroge pas à cette règle ancestrale. Matin et soir, Éric Aiguesparses trait les 45 vaches montbéliardes. Matthieu, lui, prend soin du troupeau de 50 salers allaitantes, tandis que Fabienne produit 21 tonnes annuelles de saint-nectaire, écoulé « en blanc » à un affineur du Puy-de-Dôme.
Fromage d’or du triangle doré, le saint-nectaire met tous les éleveurs laitiers d’accord. Il est rare, parce que son aire de production se limite à 69 communes. Et populaire, car la demande ne tarit pas. « Les gens en sont fans », lance Fabienne Aiguesparses.
La famille Aiguesparses et ses vaches laitières, des montbéliardes. Photo William Duran.
Lorsque Matthieu Gouzel fait les comptes, c’est aussi le saint-nectaire qui arrive en premier. Cet agriculteur trait 70 vaches montbéliardes sur 110 ha de prairies naturelles, situées pour la plupart à Allanche ainsi qu’à Peyrusse. Il est l’un des rares à contrôler toute sa chaîne de fabrication, affinage compris. Et dispose d’une vision large, parce qu’il produit trois AOP sur cinq : saint-nectaire pour 70 % du lait transformé, cantal (15 %) et salers (15 %). Le tout pour 70 tonnes de fromages par an.
Le projet d'une vie« Le saint-nectaire, c’est ce qui se vend le plus, confirme-t-il. C’est ce qui est le plus demandé, même si cela reste une aubaine d’avoir les trois AOP. Sur un étal de fromages, quand on fait un marché, ça attire tout de suite le regard. Producteur et affineur des trois ? Les gens s’arrêtent… »
Le saint-nectaire de Matthieu Gouzel s'affine dans sa cave. Photo William Duran.
Matthieu Gouzel s’est installé il y a vingt ans. De père en fils, il incarne la cinquième génération d’éleveurs dans cette ferme d’Allanche où, au départ, le lait était collecté par la Société fromagère du Livradois. Il a donc commencé par se doter de son propre atelier de transformation. Et puis pendant onze ans de chimiothérapie, il affronte les « aléas de la vie » en combattant une leucémie.
« En 2019, quand on m’a dit que j’étais en rémission, j’ai pris ma décision » : aller jusqu’au bout de sa démarche en construisant ses caves d’affinage, moyennant un investissement de 320.000 euros. « J’ai réussi à concrétiser mon projet au bout de vingt ans », résume-t-il.
Une charge de travail inimaginableÀ la tête de l’EARL de Mathonière, il emploie aujourd’hui trois salariés. À 5 heures et 16 heures, les deux traites quotidiennes sont transformées sur place en saint-nectaire, du lundi au vendredi, et en cantal ou en salers le week-end. « Ma fabrication préférée, c’est le salers AOP. Le fromage que j’ai toujours aimé faire, glisse-t-il. Il est un peu plus passionnant que le reste. La gerle en bois, le décaillage à la main apporte son charme au produit. » La charge de travail est inimaginable. « Il faut être polyvalent, euphémise le chef d’entreprise. Physiquement, quand on est du métier, on tient le coup. Mais mentalement, c’est plus compliqué. » Et quand son père le voit courir partout, il lui dit : « Je ne sais pas comment tu fais ! »
Parmi les cinq AOP ? Mathieu Gouzel a un petit faible pour le salers. Photo William Duran.
Une part conséquente de ces fromages fermiers est achetée par différentes grandes surfaces, même si Matthieu Gouzel possède également son magasin de vente directe à la ferme, où les touristes s’émerveillent de tout pouvoir visiter dans un seul endroit, qui offre une vue somptueuse sur le puy Mary, le plomb du Cantal et le Lioran. « Une jolie carte postale. »
La relève est assuréeÀ Landeyrat, autre commune du triangle d’or des fromages auvergnats, la relève est assurée. Afin de prendre la suite de Joël Labize, leur père, Ludovic et Frédéric sont en train de monter un Gaec. Sur 100 ha du massif du Cézallier, cette exploitation familiale trait 60 vaches brunes, dont le lait est transformé sur place en saint-nectaire, puis vendu « en blanc » à un affineur du Puy-de-Dôme. L’élevage de Joël Labize produit près de 50 tonnes de fromage par an.
L'élevage Labize, à Landeyrat. Photo Jérémie Fulleringer.
Théoriquement, « on pourrait tout faire, explicite Ludovic Labize. Mais c’est simple : avec le saint-nectaire, on tourne à 7 litres de lait pour un kilo de fromage. Tandis qu’avec le salers, par exemple, on tourne à 10 litres. Niveau prix, mieux vaut faire du saint-nectaire », plébiscite le jeune agriculteur.
Passion AOPQuid du bleu d’Auvergne ou de la fourme d’Ambert ? « Ce sont des techniques de fabrication différente, note Ludovic Labize. La technologie fromagère n’est pas la même. » L’ajout du fameux Penicillium roqueforti, garant de la moisissure bleue, complexifie le processus…
« Cela demanderait d’avoir un autre atelier. Ce serait trop compliqué », écarte Matthieu Gouzel, le producteur et affineur de fromages fermiers d’Allanche, dont toutes les journées – déjà bien remplies – sont dédiées à cette passion des AOP.
La montée en estives des vaches de l'élevage Labize, à Landeyrat. Photo Jérémie Fulleringer.
Romain Blanc
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Voici les quinze communes du Cantal englobées dans les cinq aires géographiques des cinq AOP fromagères d’Auvergne (cantal, salers, saint-nectaire, fourme d’Ambert et bleu d’Auvergne) : Allanche, Chanterelle, Condat, Landeyrat, Lugarde, Marcenat, Marchastel, Montboudif, Montgreleix, Pradiers, Saint-Amandin, Saint-Bonnet-de-Condat, Saint-Saturnin, Ségur-les-Villas, Vernols.