JO Paris 2024 : Teddy Riner, les petits secrets d'un grand exploit
Il fait des tourbillons avec son bras avant de lever le poing au ciel. Champion olympique. Triple champion olympique (ou quadruple, si vous comptez le sacre par équipes). Teddy Riner, 35 ans, s’agenouille au sol, met son corps en arrière. Comme un guitariste en transe. La foule l’acclame. Lui donne du « Teddy, Teddy ». C’est une rock star. Une légende du sport français. Une légende du judo mondial. L’un des plus grands sportifs de tous les temps.
« Cette médaille, j’en ai rêvé, j’en ai cauchemardé, explique-t-il à chaud. C’est beaucoup beaucoup d’heures de remise en question, de prises de tête, d’entraînements difficiles. » Teddy Riner vient de banaliser l’exceptionnel. Encore une fois. Avec lui, la victoire est normale. Ordinaire. Routinière. Une statistique pour situer le niveau du plus grand judoka de l’histoire?? 271 victoires depuis vingt ans (96 % de succès, chiffres JudoInside). Et seulement deux revers depuis 2011. Le dernier remontait aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021 (quart de finale face au Russe Bashaev). Depuis, il est resté invaincu jusqu’à son triomphe hier dans une Arena du Champ-de-Mars hystérique. Comment?? « Pour gagner à la maison, j’ai choisi mon staff, en mettant les bonnes personnes autour de moi, et j’ai établi une stratégie », répond-il. Laquelle?? On vous dit tout en remontant le fil d’une journée historique…
Profiter de Paris après s’en être éloignéC’est comme s’il avait envie de faire durer le plaisir. Ou qu’il était tendu comme une arbalète?? Le premier combat de Teddy Riner, face au modeste Magomedomar Magomedomarov (Emirats Arabes Unis) dure. Longtemps. Sept minutes. Le sociétaire du Paris Saint-Germain aurait pu expédier les affaires courantes mais il traîne sur le tapis face à un adversaire qui ne propose rien, rapidement à bout de souffle. Teddy est heureux d’être là, chez lui, à Paris. Ce n’est pas le fruit du hasard. Après les Jeux de Tokyo, il pense déjà à Paris 2024. Une petite coupure et ça repart. Sans prise de poids excessive. « Habituellement, il a tendance à s’accorder de longues pauses de quatre à cinq mois, confie Franck Chambily, son entraîneur depuis deux décennies. Là, en octobre 2021, il avait déjà repris la préparation physique. En novembre, il enfilait à nouveau le kimono. »
Le poids lourd français est déterminé à reconquérir sa couronne olympique. On lui concocte alors une préparation sur mesure. Au programme?? Du changement?! « Nous avons complètement bouleversé ses habitudes », admet Franck Chambily. La première décision?? S’éloigner de l’Insep et de Paris. « Teddy est arrivé à l’Insep en 2004 à 15 ans, explique le technicien. On a fait le tour et le retour (sic) du système d’entraînement. Le niveau de ses adversaires français n’est pas exceptionnel mais ce n’est pas la seule raison de notre volonté d’aller voir ailleurs. On a voulu le changer d’univers, avec de nouveaux partenaires, pour lui permettre de trouver un second souffle et de se faire plaisir. »
Teddy continue bien de passer à l’Insep mais il établit un nouveau camp de base à Marrakech, au Maroc. « Le climat est sympa, nous sommes très bien accueillis et il y a de bonnes conditions d’entraînement », justifie Chambily.
Habitué au profil du GéorgienAu bord du tapis, Guram Tushishvili effectue des sauts de cabris. Il a hâte d’en découdre. Le Géorgien veut s’offrir la peau de Teddy Riner. Il a des atouts. Petit. Gaucher. Contreur. Tout ce qui pourrait barrer la route du Français. Tushishvili croit en lui. Vice-champion olympique et vice-champion du monde en titre, il agresse son adversaire sur les mains, tente de le faire douter. Sauf que Teddy gère en père tranquille. Le laisse s’épuiser. Et finit par trouver l’ouverture à une minute de la fin sur un contre (tani-otoshi) bien senti.
Ce contre, il l’a effectué des milliers de fois à l’entraînement. Il l’a préparé, répété. Automatisé. « Mon sparring-partner (Frédéric Miredin, qui l’accompagne à chaque séance) est droitier mais on l’a beaucoup fait travailler en gaucher en prévision des Jeux », dévoile Teddy Riner. Ce n’est pas tout. Depuis Tokyo, le multiple champion du monde (onze fois) enchaîne les stages à l’étranger. Il y a ceux, spécialement concoctés pour lui. « On essaie de réunir le maximum de poids lourds, on passe commande (sic) dans les pays où on va », dévoile Franck Chambily. Et il y a aussi les OTC (Olympic Training Camp) proposés par la Fédération Internationale de Judo. En 2024, Teddy Riner visite six pays : le Japon, la France, le Kazakhstan, la République Tchèque, le Maroc et la Croatie. Uniquement pour s’entraîner (1).
Pourquoi autant de kilomètres et de voyages?? Pour progresser, même à 35 ans, face à des judos divers et variés. « Au Japon, c’est riche au niveau des partenaires avec un judo très ouvert, liste Franck Chambily. Au Kazakhstan et en Mongolie, c’est très rugueux avec beaucoup de corps à corps. Au Brésil, on a bien progressé sur les liaisons debout sol. »
C’est donc au Kazakhstan, ou en Mongolie, que Teddy Riner s’est préparé à se faire rentrer dans le lard par des mecs comme Tushishvili. Il est 13 heures. Il est en demi-finale.
Un staff personnalisé avec un nouveau coachTrois heures et demie plus tard, Christian Chaumont lève le bras droit au ciel. Ippon. Il est debout. Comme 8.000 personnes excitées par l’idée de vivre un grand moment de l’histoire du sport. Teddy Riner, celui qui allumait la vasque olympique sous la pluie la semaine dernière, est en finale olympique. Il est en feu.
Après Londres en 2012 et Rio en 2016, il briguera un troisième sacre face au Coréen Minjong Kim. Il vient de satelliser Temur Rakhimov (Tadjikistan) grâce à un osoto des familles.
Sur la chaise de coach, Christian Chaumont applaudit. Depuis février, il fait partie de la garde rapprochée de Teddy Riner. Comme pour un tennisman qui écume les compétitions internationales, le judoka possède un staff qui le suit partout. Un partenaire d’entraînement (Frédéric Miredin), payé à prendre des « boîtes » toute la journée, un préparateur physique (Julien Corvo) et une kiné (Armelle O’Brien). Et deux entraîneurs, donc : l’historique, Franck Chambily, qui l’a connu chez les cadets, et Christian Chaumont, le revenant. « Cela faisait vingt ans que j’étais derrière Teddy, je sentais que c’était le bon moment pour apporter une nouveauté, explique Franck Chambily, promu manager. Ils ont déjà travaillé ensemble de 2009 à 2016 (Christian Chaumont était son entraîneur de club à Levallois). Avec Christian, on dit la même chose mais de manière différente. » Au regard de la journée de Teddy, le message est reçu cinq sur cinq.
Sa plus belle finale olympiqueIl n’y a plus qu’un obstacle pour entrer dans l’Histoire. Minjong Kim. Coréen. 23 ans. Champion du monde en titre. Une belle gueule de vainqueur en puissance. Les deux finalistes ne calculent pas. Se livrent. Attaquent. Jusqu’à ce que Teddy Riner humilie – « avec un harai goshi spécial Teddy (2) », dixit Chambily – son concurrent, plus qu’un quintal sur la balance, comme une vulgaire crêpe. Magnifique. Grandiose. « Depuis le temps que je voulais gagner une finale olympique de cette façon, je suis vraiment content », souffle-t-il.
Après des victoires à la décision en 2012 et aux pénalités en 2016, il vient de triompher par ippon, la valeur ultime au judo, celle qui met fin au combat. Comme un K.-O. « La différence entre le Teddy de Tokyo et le Teddy d’aujourd’hui c’est qu’il est venu pour marquer des ippons et les esprits, jubile Stéphane Nomis, le président de France judo. Il a choqué tout le monde par son beau judo. Il nous a fait plaisir en s’entraînant différemment. » Trois ans de préparation, à l’opposé du passé, pour une journée de bonheur. Historique et inoubliable.
A Paris, Kevin Cao Kevin.cao@centrefrance.com
(1) En 2024, Teddy Riner a remporté cinq compétitions : le Grand Chelem de Paris, le Grand Chelem d’Antalya (Turquie), Grand Chelem de Dushanbe (Tadjikistan), Open de Marrakech et Open de Madrid. (2) « Vu qu’il est très grand, il envoie sa jambe et sa hanche de manière latérale. Ce n’est pas conventionnel mais, souvent, il envoie très haut son adversaire »