Kamala Harris : ses atouts… et ses faiblesses face à Donald Trump
Comme un seul homme, ils se sont rangés derrière Kamala Harris. Oubliées les bisbilles entre progressistes et modérés, les démocrates ont enterré la hache de guerre en vue d’un seul objectif : battre Donald Trump à la présidentielle de novembre 2024. Depuis le retrait de Joe Biden de la course à la Maison-Blanche, sa vice-présidente et son équipe phosphorent pour éviter la déconfiture de la campagne de 2019, lorsque Kamala Harris concourrait pour la primaire présidentielle de son parti.
"Sur le papier, elle était parfaite, se souvient Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles-Saint-Quentin. A 55 ans, elle était plus jeune que beaucoup de ses concurrents, elle avait toutes les qualités théoriques sur le côté identitaire : une femme – beaucoup disaient que l’heure d’une femme présidente était venue –, d’origine indo-jamaïcaine. Sa carrière de procureure lui permettait d’atténuer son image de Californienne gauchiste de San Francisco… Sauf que tout cela n’a jamais pris !"
L’étoile montante du Parti démocrate, à l’époque sénatrice du plus grand Etat du pays – la Californie, cinquième économie du monde – caracolait pourtant en tête des sondages au début de sa campagne. Et patatras ! "A maintes reprises, Mme Harris et ses plus proches conseillers ont pris des décisions erronées sur les Etats sur lesquels se concentrer, les problèmes à mettre en avant et les adversaires à cibler, tout en refusant de faire des choix de personnel difficiles pour imposer l’ordre dans une campagne compliquée à gérer", se désole le New York Times fin novembre 2019, quelques jours avant que la candidate jette officiellement l’éponge.
L’immigration, son talon d’Achille
Quatre ans plus tard, Kamala Harris n’a pas le droit à l’erreur. Dans cette course d’une tout autre dimension – puisqu’il s’agit cette fois de séduire à la fois les démocrates de tous bords, les républicains modérés et les indécis –, beaucoup d’obstacles demeurent sur sa route. Son bilan en matière migratoire en est un, et pas des moindres. "La principale mission que lui avait confiée Joe Biden était de gérer la crise migratoire à la frontière mexicaine, et elle n’y est pas parvenue, note Françoise Coste, professeure de civilisation américaine à l’université de Toulouse Jean-Jaurès. Or, l’immigration est le sujet n° 1 de Trump. Les républicains feront donc campagne sur ce sujet, ils n’en démordront pas !"
Une fois n’est pas coutume, ils pourront s’appuyer sur des chiffres – des vrais ! – peu flatteurs pour la vice-présidente. Sur l’année fiscale 2022, les agents du service des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis ont traité plus de 2,1 millions d’arrivées de migrants, un record historique bien au-delà du précédent, établi en 2021, à 1,7 million.
"Son rôle initial dans la politique d’immigration de l’administration Biden était d’essayer d’améliorer la vie dans les pays d’origine – Salvador, Honduras, Guatemala – afin que les migrants ne les quittent pas", explique Charles Kupchan, professeur à l’université de Georgetown. Une politique pas si éloignée de celle de l’Union européenne en Afrique. "Par ailleurs, l’administration – pas seulement Kamala Harris, mais d’abord Joe Biden – s’était engagée à introduire une politique d’immigration plus humaine que celle de Donald Trump, reprend cet ancien conseiller de Barack Obama. Il est donc revenu à des quotas plus importants, a réintroduit une procédure d’asile normale, a créé cette nouvelle application pour que les demandeurs d’asile au Mexique puissent organiser des entretiens aux points d’entrée. Il a donc fait ce qu’il fallait sur le plan moral, mais cela a conduit à un afflux de personnes à la frontière."
Sans surprise, Donald Trump et ses disciples se font un malin plaisir d’appuyer sur ce point faible. Dans une publicité pour la télévision dévoilée ce mardi 30 juillet, le Grand Old Party (GOP) déclare sur un ton martial : "C’est la tsar des frontières de l’Amérique, et elle nous a trahis !". "Kamala Harris. Ratée. Faible. Dangereusement libérale", conclut ce spot.
"Kamala la flic"
Pour convaincre les électeurs républicains centristes et les indépendants, Kamala Harris devra trouver le bon angle d’attaque sur ce sujet épineux. Son passé de "première flic de Californie" pourrait l’aider. Procureure de San Francisco de 2004 à 2011, puis de Californie de 2011 à 2017, Kamala Harris a souvent été critiquée par l’aile gauche de son parti pour sa fermeté dans ces fonctions. Les progressistes la surnomment alors "Kamala the Cop" (Kamala la flic). "Elle était considérée comme trop à droite sur le dossier sécuritaire-judiciaire, confirme Lauric Henneton. Ce qui pourrait faire ses affaires aujourd’hui, car cela peut plaire à la fois aux républicains modérés, aux centristes et aux démocrates pas trop radicaux." L’ennui, c’est que Kamala Harris ne peut pas se permettre de perdre les démocrates de gauche. "Son problème, c’est qu’elle est perçue comme trop ferme pour les progressistes et trop progressiste pour les modérés en raison de ses positions très à gauche sur la fiscalité", résume Alexis Buisson, journaliste indépendant basé aux Etats-Unis, auteur de Kamala Harris, l’héritière (Ed. L’Archipel, 2023).
Là encore, sa campagne ratée de 2019 est l’anti-modèle par excellence. La candidate avait changé d’avis à plusieurs reprises sur des sujets chers aux Américains, comme la réforme du système de santé. Elle devra cette fois construire une image plus solide, et vite. Avant que la "machine Trump" ne lui vole cette opportunité, en martelant ses slogans à la télévision et sur les réseaux sociaux. Sur ces derniers, la vice-présidente a ses aficionados. La "KHive" – "la ruche Kamala" – des dizaines de milliers de fans qui inondent TikTok, X et Instagram de contenus pro-Kamala Harris.
Il en faudra toutefois plus pour conquérir des franges clés de l’électorat. En raison de son profil très urbain, issu d’un milieu privilégié californien, tout un pan de l’Amérique rurale – acquise depuis les années 1980 au GOP – s’identifie difficilement à elle. Circonstance aggravante, Kamala Harris n’est pas connue pour son aisance à "descendre dans l’arène", contrairement à Joe Biden par le passé. "Il n’y a pas de recette, il faut qu’elle aille serrer des mains au Taco Bell, faire des selfies, estime Lauric Henneton. Il faut voir quel type de campagne elle fait et les réactions qu’elle suscite : est-ce que ça passe ou a-t-elle l’air fausse ?"
"Aucun colistier ne coche toutes les cases"
Le choix du vice-président sera également crucial pour contrebalancer les faiblesses de la candidate du parti démocrate. Le nom de Mark Kelly circule de plus en plus. Cet ancien militaire et astronaute de la Nasa, très populaire, est aujourd’hui sénateur de l’Arizona, un Etat frontalier du Mexique. Son discours plus ferme que celui de beaucoup de démocrates sur l’immigration peut être un atout pour Kamala Harris. "Le problème de Mark Kelly, c’est que s’il devient vice-président, il libérera son siège de sénateur, laissant la place à un candidat démocrate lambda, certainement moins populaire, pour les élections au Congrès en 2026, poursuit Lauric Henneton. Or, les démocrates, qui risquent de perdre le Sénat en novembre 2024, ne peuvent faire encore pire en 2026. Ce serait suicidaire !"
De plus, Mark Kelly n’est pas le bon profil pour aider Kamala Harris à remporter un swing State. Josh Shapiro, le gouverneur de Pennsylvanie, l’un de ces Etats pivots qui peuvent basculer dans un camp ou l’autre, fait figure de favori sur ce terrain. Pour parler aux populations rurales, le gouverneur du Kentucky Andy Beshear ou celui du Minnesota, Tim Walz, sont certainement les mieux placés.
"Aucun candidat pour le rôle de colistier ne coche toutes les cases. Ils ont tous des qualités, ils peuvent tous aider à emporter quelque chose, mais ils ont aussi tous des défauts", conclut Lauric Henneton. Cette fois, Kamala Harris devra faire les bons choix, à commencer par le meilleur ticket pour la Maison-Blanche. La vice-présidente a trois mois pour convaincre.