Retour sur l’âge d’or de la dentelle mécanique en Haute-Loire
Si la Haute-Loire reste associée à la dentelle, c’est d’abord l’image de la dentellière traditionnelle, avec ses fuseaux et son carreau, qui vient à l’esprit. Une activité qui a été concurrencée dès les années 1900 par la dentelle mécanique. Grâce aux métiers à fuseaux mécaniques, il devient ainsi possible d’industrialiser un process jusqu’alors manuel et vieux de plusieurs siècles. Autrefois dénigrée, la dentelle mécanique n’en reste pas moins une industrie qui a fortement marqué le département. Elle représente même un important chapitre de l’histoire industrielle de la Haute-Loire.
Avec Fontanille et VacherLa dentelle mécanique est apparue au XVIIIe siècle en Angleterre, où elle s’est développée, avant d’arriver en France sur les côtes de la Manche, dans le Nord-Pas-de-Calais. « On reprend le mécanisme Jacquard, déjà employé pour le tissage, et on l’adapte pour créer les métiers à fuseaux mécaniques », explique Fanny Roilette, directrice du musée des manufactures de dentelles de Retournac. Dans un département où la dentelle traditionnelle est déjà solidement implantée, celle mécanique est, au départ, assez mal vue et souffre d’une image négative. « La dentelle à la main était alors considérée comme plus authentique », rappelle Fanny Roilette.
Une photo prise en 1925 par Pierre Margerit-Brémond à l'intérieur d'un atelier de dentelles mécaniques du Puy-en-Velay.
Cela n’empêche pas la dentelle mécanique de séduire des chefs d’entreprise dès le début du XXe siècle. Les premiers à investir dans les métiers à dentelles sont Vacher et Fontanille dès 1902-1903, devenus ensuite des géants dans le domaine. L’arrivée de l’électricité permet aussi d’envisager de nouveaux systèmes de fonctionnement, même si celle que l’on appelle alors « la force motrice » fait bien souvent défaut pour les industriels. En avril 1996, Jean Grimaud écrivait dans les colonnes de L’Éveil de la Haute-Loire :
La dentelle mécanique a compté au Puy-en-Velay dans la première moitié du siècle jusqu’à 120 fabricants et plus de 5.000 métiers.
Son « âge d’or » se situe dans « les années 1920-1930, comme pour la dentelle à la main, poursuit la directrice du musée de Retournac. Les deux activités ont d’ailleurs longtemps cohabité. On retrouve beaucoup d’articles de l’époque pour dénigrer la dentelle mécanique. C’est Paul Fontanille qui va beaucoup écrire pour la défendre et rappeler que les deux peuvent cohabiter. Il faudra attendre 1946 pour voir le chiffre d’affaires de la dentelle mécanique dépasser celui de la dentelle à la main. » Et de préciser : « En 1925, on comptait 4.000 métiers dans 85 entreprises différentes et plus de 2.000 emplois associés. » Des ateliers qui tournaient le plus souvent à plein régime, de jour comme de nuit.
Il y avait même des fabricants de métiersLa dentelle mécanique connaît un tel essor que la Haute-Loire va voir naître des usines qui fabriquent des métiers à dentelle ! C’est l’histoire de la marque Alvergnas au Puy-en-Velay par exemple, ou Alco. Les premiers modèles de métiers étaient Allemands. « Ils étaient chers, même si Vacher et Fontanille ont commencé en les important. Vacher va rapidement fabriquer ses propres machines, avoir ses propres fabricants de métiers, c’est le signe d’une très grosse activité », fait remarquer Fanny Roilette.
Des factures de quelques-unes des anciennes entreprises de dentelles mécaniques du Puy-en-Velay.
La crise de 1929 fait du mal à la profession. Seuls les plus gros résistent. Le nombre de métiers s’en trouve considérablement diminué et tombe à 1.000 sur la Haute-Loire, répartis dans une trentaine d’ateliers. Après-guerre, les choses évoluent lentement mais inexorablement. Les napperons en dentelles se font moins nombreux, deviennent obsolètes dans les maisons. L’heure est à la « modernité », alors exit la dentelle.
J’ai connu les grands ateliers de mécaniques avec des centaines de machines ! À la grande époque, il y avait 500 ou 600 métiers chez Fontanille ! Les deux communes où la dentelle mécanique était le plus implantée, c’était Lantriac et Le Puy.
Pierre Testud, le dernier dernier dentellier artisanal de Haute-Loire.
De cet héritage industriel, il ne reste plus grand-chose aujourd’hui. Quelques ateliers ont poursuivi leur activité en changeant le produit fabriqué (bigoudis, filets à saucissons…), les anciennes usines ont changé complètement, d’autres ont été vendues ou se sont transformées en logements, parfois en école de danse…Jean Grimaud dénombrait encore 15 usines de dentelle mécanique en 1985 sur le département, une douzaine en 1996. À cette date-là, les principaux ateliers sont ponots avec Fontanille (260 métiers) et Laurence (75 métiers). À Lantriac, on retrouvait Vedem (60 métiers) et Dessalces (72 métiers). Déjà à cette époque, Georges Laurence, de l’entreprise éponyme, confiait à Jean Grimaud : « Quand j’ai appris qu’un métier à dentelle venait de rentrer au musée Crozatier, ça m’a fait quelque chose… »
Les fabriques de dentelles offraient divers aspects. Parfois très typées usine (avec des toitures à sheds comme au Puy), elles ont gardé une identité et restent des bâtiments atypiques. Ici l’usine Experton de Retournac où est installé le musée des dentelles.
En 2024, seule la Scop Fontanille, sur les hauteurs du Puy, continue de faire fonctionner d’anciens métiers, mais pour fabriquer de la dentelle élastique à destination de la lingerie. À Lantriac, Pierre Testud est officiellement à la retraite, même s’il redémarre ses métiers à la demande, pour faire visiter son atelier. Aujourd’hui, un néophyte avec une pièce de dentelles en main aurait bien du mal à savoir si elle provient d’un bruyant atelier ou si elle a été réalisée par une dentellière pendant des heures… « On reconnaît souvent une pièce de dentelle mécanique au fil, car beaucoup étaient faites en coton, plus résistant et moins cher que le lin, très employé par les dentellières ».
Les discrets fils colorés (ici en rouge et bleu) nécessaires pour réaliser les motifs devaient ensuite être enlevés à la main : c’est le défilage. Une étape sous-traitée à domicile et jusqu’à très récemment chez les derniers dentelliers.
Désormais, la dentelle à la main perdure encore grâce à une filière organisée où l’on enseigne la pratique. Mais la dentelle mécanique, elle, n’est plus visible que dans les musées.
La dentelle mécanique bien présente au musée de RetournacDirectrice depuis 2022, Fanny Roilette devant les métiers à dentelles de l'ancienne fabrique Experton.Si la dentelle mécanique a presque totalement disparu, le musée des dentelles de Retournac conserve la mémoire de cette activité capitale en Haute-Loire. Depuis 2022, après dix années de transition, une nouvelle directrice est aux manettes du musée retournacois, labellisé musée de France : Fanny Roilette. Dans les locaux de l’ancienne manufacture Experton, le musée a réinstallé des métiers à fuseaux mécaniques dans la même pièce où ils fonctionnaient encore bruyamment il y a encore un peu plus de 25 ans. Le bâtiment a été construit en 1913, d’abord pour collecter le travail des dentellières à la main de tout le secteur. L’entreprise a compté, au plus fort de son activité, 60 ouvrières dans l’atelier et jusqu’à 2.000 dentellières environ à domicile. Les péripéties familiales chez Experton et l’activité progressivement en déclin, conduisent à l’apparition de la dentelle mécanique très tardivement dans les ateliers de la commune des bords de Loire. De 1984 jusqu’à la fermeture en 1997 « Lorsque la société Vacher ferme ses portes à Lantriac, l’entreprise lui a racheté 34 métiers à dentelles pour les installer ici, ainsi qu’une grande partie des cartons Jacquard », détaille Fanny Roilette. « Les dentelles mécaniques ont été ici une activité très récente, entre 1984 et 1997, jusqu’à la fermeture de l’entreprise », poursuit la directrice. Le musée est donc l’occasion d’avoir une idée de ce qu’était un atelier de dentelle mécanique tel qu’on les trouvait sur le département, même si les métiers conservés à Retournac ne sont plus fonctionnels. Sur les sept présentés, trois ont été fabriqués en Haute-Loire.Pratique. Musée des manufactures de dentelles de Retournac, 14 avenue de la gare à Retournac. Ouvert tous les jours de 14 à 19 heures en juillet et août. Plus d’infos sur www.musee-dentelles-retournac.fr. Tél : 04.71.59.41.63
Lionel Ciochetto