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Июль
2024

La surprenante histoire de la chanson qui a permis à Bill Clinton d'accéder à la Maison-Blanche

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Dans un pays polarisé comme les Etats-Unis, la musique populaire – pop, rock, folk, jazz, country, rap – reste le dernier langage commun des républicains et des démocrates. La Maison-Blanche s’est donc toujours intéressée à ses stars : Frank Sinatra, Elvis Presley, Bob Dylan, Bruce Springsteen, Kanye West, Taylor Swift et d’autres. Avant l’élection du 5 novembre, L’Express vous raconte, en huit épisodes, l’histoire des couples improbables formés par les bêtes de la scène musicale et les animaux politiques présidentiels. Des duos très pop’n’pol !

EPISODE 1 - Kennedy et Sinatra : une bromance épique, une rupture fracassante

EPISODE 2 - Elvis Presley et Richard Nixon : cette folle entrevue entre le "King" et le président

EPISODE 3 - Jimmy Carter et Bob Dylan, amis pour la vie : "En écoutant ses disques..."

Le 19 janvier 1993, Bill Clinton, devenu le 42e Président des Etats-Unis, fête son élection en grande pompe au Capital Center de Washington. Pour célébrer la victoire du camp démocrate – privé de la Maison-Blanche pendant douze ans –, de nombreuses vedettes ont fait le déplacement : Barbra Streisand, Michael Jackson, Elton John… A tour de rôle, les stars défilent sur scène et interprètent leurs tubes. Mais dans cette ambiance survoltée, les 18 000 invités n’attendent qu’une chose : la prestation de Fleetwood Mac ! A la surprise générale, les cinq membres de ce groupe, dont la carrière a connu son apogée à la fin des années 1970, ont accepté de mettre leurs querelles de côté et de reprendre sur scène l’un de leurs plus gros tubes : Don’t Stop.

Quand le moment arrive enfin et qu’en file indienne, les musiciens fendent la foule pour s’emparer de leurs instruments, la salle exulte. "Il faut réaliser le caractère exceptionnel du moment, explique Christophe Delbrouck, écrivain et auteur d’une biographie du groupe anglo-américain. C’est la première fois, depuis de nombreuses années, que ces artistes jouent ensemble. Le guitariste Lindsey Buckingham avait quitté la formation en 1987. La chanteuse Stevie Nicks avait fait de même en 1990 pour se consacrer à sa carrière solo." Les deux s’insultent d’ailleurs copieusement par médias interposés. En 1993, Fleetwood Mac, qui a vendu des millions de disques à ses grandes heures, est l’ombre de lui-même. Sauf que le "rumours five" – nom de la joyeuse bande, en référence à l’un de leurs albums – ne peut rien refuser aux Clinton, fan de la première heure, qui collectionne tout ce qu’il peut sur ses idoles.

Depuis quelques mois, Don’t Stop est même devenu l’hymne non-officiel du gouverneur de l’Arkansas. Bruce Lindsey, ancien confident du président démocrate, raconte en exclusivité pour L’Express la genèse de l’histoire. "Bill Clinton et moi-même étions en Californie pour un discours avant qu’il n’annonce sa candidature à la présidence. Un jeune bénévole, Shawn Landres [NDLR : qui travaillera plus tard à la Maison-Blanche pour Barack Obama], nous conduisait ; il a dit au futur président que, s’il se présentait, Don’t Stop devrait être la chanson thème de sa campagne. Shawn possédait une cassette contenant un enregistrement et il l’a diffusée sur le lecteur de la voiture."

La révélation de Bill Clinton

En écoutant la chanson, Bill Clinton a comme une révélation. Le message principal ("Demain sera meilleur qu’avant") correspond pile à ce qu’il souhaite transmettre. Mais il est encore trop tôt pour choisir un hymne de campagne. Le choix définitif se fait quelques semaines plus tard, dans la précipitation. "La veille de l’annonce de sa candidature, alors que nous réfléchissions au programme, nous avons pris conscience que la musique que l’orchestre du lycée de Hope allait jouer – des marches militaires – n’était pas assez entraînante pour mobiliser la foule. J’ai été chargé de trouver une musique appropriée. Je me suis souvenu de la suggestion de Shawn et, après avoir appelé plusieurs disquaires du coin, j’ai trouvé un exemple de l’album Rumours, sorti en 1977. Nous l’avons écouté et décidé que cela ferait l’affaire", explique Bruce Lindsey.

Le directeur de campagne de Clinton, David Wilhelm, précisera dans une interview : "A peine arrivé en fonction, j’ai trouvé sur mon bureau une lettre des avocats de Fleetwood Mac, qui disait : 'Vous devez cesser d’utiliser la chanson Don’t Stop ou nous vous poursuivrons en justice'. La première décision que j’ai prise a donc été d’ignorer cette lettre !" Bill Clinton se lance donc dans la course sans l’autorisation de son groupe préféré… mais celle-ci viendra plus tard.

Au départ, son choix musical fait jaser. Pendant la campagne, ses plus jeunes collaborateurs le pressent d’opter pour un groupe plus branché. Au cours du très regardé Saturday Night Live, des humoristes taquinent Bill Clinton sur le fait que les années 1990 ont commencé ! C’est l’époque où le rap commence à envahir les ondes et où le monde découvre Nirvana… Soudain, la pop californienne paraît ringarde.

La stratégie du saxophone et des nouveaux médias

Christine McVie, chanteuse de Fleetwood Mac et compositrice du titre, avouera lors d’une interview télévisée que Don’t Stop aurait mieux convenu à la bande-son publicitaire d’une compagnie d’assurances. Cependant, la génération des baby-boomers, que Clinton espère conquérir, est ravie de pouvoir la réécouter. "Il n’y a aucune dimension politique dans la musique de Fleetwood Mac. En revanche, le morceau en question vante les vertus du courage, de la force morale", précise Christophe Delbrouck. Des thèmes qui résonnent dans une Amérique en récession où la consommation d’antidépresseurs a remplacé celle de produits hallucinogènes.

"Lorsque l’équipe Clinton l’a reprise et relancée, cette chanson sortie en 1977 était un vieux tube, confirme Russell Riley, professeur à l’université de Virginie et auteur du livre Inside the Clinton White House : An Oral History. Mais elle reflétait l’ambiance de la campagne, qui annonçait un changement de génération dans la politique américaine. A l’époque, nous sortions de douze années de règne conservateur avec Ronald Reagan puis George H. W. Bush, tous deux issus de la génération de la Seconde Guerre mondiale. Clinton et son vice-président Al Gore apportaient du neuf. Et la campagne en a tiré parti."

Pour se démarquer, Bill Clinton joue à fond la carte de la musique et des nouveaux médias. Alors que George H. W. Bush refuse d’apparaître sur MTV, qu’il qualifie de chaîne pour ados, le candidat démocrate s’y précipite et répond en direct aux questions de jeunes auditeurs. Il fait également une apparition remarquée dans le Arsenio Hall Show, une émission où il joue du saxophone en direct, lunettes de soleil sur le nez. L’image restera gravée dans les mémoires. Bill Wheatley, producteur exécutif de la chaîne NBC News, avouera : "Je ne suis pas certain que nous ayons appris grand-chose ce soir, si ce n’est que Bill Clinton est prêt à porter des lunettes noires et à jouer du saxophone…" Mais la séduction fonctionne. Le jour de l’élection, le 3 novembre 1992, 11 millions d’électeurs âgés de 18 à 24 ans se rendent aux urnes, contre 8 millions en 1988. C’est le chiffre le plus élevé depuis l’élection de 1972 opposant Richard Nixon et George McGovern.

La suite de l’histoire est connue : Bill Clinton remporte haut la main les élections puisqu’il obtient une large majorité des grands électeurs (370 contre 168) dans une triangulaire où la présence du candidat indépendant Ross Perot, un milliardaire texan, favorise le démocrate contre le président sortant. La mauvaise situation économique du pays joue également en faveur de Clinton, sans parler des errements de George H.W. Bush qui, un jour, vomit puis s’effondre sur sa chaise lors d’un dîner d’Etat au Japon ! Un autre jour, il découvre avec stupéfaction les codes-barres dans un supermarché. Grâce à sa campagne axée sur la jeunesse et la musique, Bill Clinton accède, lui, au statut de président cool. Une image qui lui collera à la peau durant son second mandat, même lors du "scandale Monica Lewinsky" qui lui vaudra une procédure en destitution. Pour traverser cette épreuve, sans doute a-t-il alors invoqué le message qui l’avait fait élire quelques années plus tôt : demain sera mieux qu’aujourd’hui !