ru24.pro
World News
Июль
2024

Immersion en Haute-Loire chez le dernier des dentelliers (vidéo)

0

Au milieu des odeurs d’huile et de graisse, comme dans un atelier de mécanique, le fin tissu de dentelle se dessine et glisse sur le mandrin, au milieu du joyeux vacarme des fuseaux mécaniques qui dansent sur le métier… Il faut beaucoup de pièces mécaniques en mouvement et d’huile pour réaliser une fine pièce de dentelle blanche immaculée ! Mais ce travail-là est un art. Car à côté des traditionnelles dentellières au carreau, la dentelle mécanique, pour le néophyte, apparaît tout aussi complexe. Un travail que Pierre Testud, 63 ans, a découvert très jeune, il y a maintenant presque un demi-siècle, et qui continue de le passionner dans son atelier des bords de la Gagne aux Pandraud, sur commune de Lantriac, berceau de la dentelle mécanique.Ce savoir-faire disparait aujourd’hui alors que la dentelle mécanique a fait vivre des milliers de personnes en Haute-Loire pendant les années fastes. Itinéraire d’un homme passionné. Photo Lionel Ciochetto

« J’ai appris le métier à l’âge de 15 ans. Je devais travailler tout de suite car je voulais arrêter l’école », se souvient-il. Après un passage éclair à la fromagerie du Velay, au tunnel de la gare, il rentre chez Vacher, aux Pandraud. L’une des grosses usines de dentelles mécaniques de l’époque.

Nettoyeur, rattacheur, monteur, dessinateur…

« Ils avaient beaucoup de machines, entre 300 et 400 et en avaient eu précédemment jusqu’à 1.000, c’était immense ! » Pierre Testud était le numéro 299 sur la fiche de pointage. Il a commencé, comme beaucoup, par l’étape la plus ingrate : sous les métiers.

J’ai commencé au nettoyage. Car pour faire fonctionner les métiers, cela demande beaucoup d’huile. Il y en a de partout, ça coule et il faut sans cesse essuyer !

Il apprend ensuite à changer les bobines sur les métiers. Les conditions de travail étaient rudimentaires dans les années 1970, les normes presque inexistantes, comme les casques anti-bruit. Il devient rapidement « rattacheur ». Un rôle capital dans le bon fonctionnement des ateliers de dentelle mécanique. Le rattacheur doit en effet anticiper la fin d’une bobine, arrêter le métier, remettre une nouvelle bobine de fil sur le fuseau et faire un nœud, propre (sans salir le fil) et solide. La dentelle mécanique se déroulait sur les métiers à raison de quelques mètres à l’heure. Photo Lionel CiochettoAujourd’hui, son geste pour nouer les fils est rapide, sûr et efficace ! « Au bout de trois mois, je voyais que ça fonctionnait mal. Mais le contremaître m’avait dit “file” ! Le patron avait vu la scène et j’ai dû m’expliquer… » Un mal pour un bien car très vite, Pierre Testud montre des aptitudes pour ce travail. Le fonctionnement des métiers le captive. Il devient alors « rattacheur qualifié ». « Je passais sur les métiers pour voir si la dentelle sortait correctement. Ça a duré trois mois ».

« J’ai eu un vrai coup de cœur pour le métier. La dentelle : c’est ma vie ! »

À 16 ans seulement, il devient chef d’équipe. « Ça râlait dans l’usine car certains étaient là depuis 20 ans… J’ai eu un vrai coup de cœur pour le métier !  »Le Lantriacois passe ensuite « monteur », en charge de changer les Jacquard, ces fameuses bandes de cartons perforées qui sont comme « le programme » de la machine (lire ci-dessous). Une étape qui nécessite là aussi de la rigueur. « Chez Vacher, on avait des métiers qui allaient jusqu’à 15 ou 20 mètres de dentelles à l’heure ! Pour réaliser des couvre-lits, on avait des métiers équipés de 112 fuseaux, des machines énormes ! »Dans son atelier de Lantriac, Pierre Testud continue, ponctuellement, de faire tourner ses métiers à dentelles, pour son plaisir et quelques privilégiés, comme ici devant son petit-fils Maxence. Photo Lionel CiochettoPierre Testud poursuit ensuite son apprentissage de l’ensemble des étapes. Après deux ans « à la mécanique », une autre étape capitale, il passe « dessinateur-échantilloneur ». « J’avais 18 ans, la connaissance et la maîtrise de toutes les étapes. » Mais entre 1978 et 1980, après plusieurs vagues de licenciements, l’usine ferme ses portes. Un autre dentellier, prêt à partir en retraite recrute Pierre Testud

Testud Dentelles aux Pandraud depuis 1986

Cette fois, c’est la crue de la Loire le 20 septembre 1980 et deux mètres d’eau dans l’usine qui auront raison de ses espérances… Il est finalement licencié en 1985 mais la passion de la dentelle mécanique est telle, qu’il ne tarde pas à rebondir, dès 1986.« J’étais à la recherche d’un local quand j’ai entendu à 6 heures du matin une annonce à la radio. J’ai appelé tout de suite et le gars au téléphone me dit : “vous êtes pas fou, vous avez vu l’heure !” » C’est le début de l’aventure de « Testud Dentelles » dans les mêmes locaux qu’aujourd’hui, aux Pandraud. Avec du recul, il le reconnaît volontiers : « j’en ai bavé. La première année, j’ai démarré tout seul, comme sous-traitant de Fontanille. S’ils me plantaient, je n’avais plus de boulot. » Pierre se retrouve finalement avec les machines de chez Fontanille, mais sans travail.

J’avais 70 métiers à dentelles. Je suis allé acheter du fil aux Bobinages du Velay, mais avant de décharger, on m’annonce qu’il y en a pour 10.000 francs. Je débutais et tout le monde était méfiant. J’ai mis six mois pour faire les premiers modèles. Il fallait tout faire… J’allais voir des magasins au Puy et jusqu’à Paris !

Grâce à quelques petites commandes, l’activité est lancée. « Il fallait faire tourner les machines de 4 heures du matin à 20 heures le soir. C’était une folie mais j’avais la niaque ! » Un jour du mois d’août 1987, deux Allemands s’arrêtent devant l’atelier alors qu’il partait. « Ils sortent d’une grosse Mercedes et me demandentsi je fabrique de la dentelle. Je n’avais même pas de carte à leur donner, j’ai mis un coup de tampon sur un carnet. » Quelques jours plus tard, il reçoit un carton plein de dentelles avec des modèles à fabriquer. « J’ai travaillé pendant 35 ans avec eux ! » Avec du recul, il reconnaît qu’il faut savoir « être audacieux et bousculer son destin ! Dans la vie, il faut bosser car la chance fait partie du hasard », analyse Pierre Testud, qui a compté jusqu’à huit salariés dans son atelier des Pandraud. Il a vu l’activité décliner aussi, la fin des napperons en dentelles, la fermeture de beaucoup d’ateliers de dentelle mécanique en Haute-Loire… Officiellement en retraite depuis 2020, il continue d’écouler ses stocks de dentelles grâce à son site internet. Il a aussi été très présent pendant des années sur les salons dédiés « aux arts de la couture » et réservé aux produits français, et continue d’en faire trois par an. « La dentelle : c’est ma vie ! Quand je vois tout ce qu’il a fallu faire pour y arriver, il faut être passionné ! » 

 

Lionel Ciochetto

Contact. Pierre Testud fait visiter son atelier aux groupes à la demande. Pour tout contact : testud.dentelles@orange.frSon site internet : lepuyadentelles.fr

 

Le Jacquard, l’ancêtre en carton du programme informatique

La première étape pour fabriquer une dentelle avec un motif bien déterminé est de réaliser le Jacquard. Il est composé d’un ensemble de bandelettes en carton, perforées et cousues entre elles.Chaque Jacquard qui se déroule sur le métier, correspond au « programme » pour un motif de dentelle bien précis. Photo Lionel Ciochetto« Le carton : c’est un peu l’ancêtre de l’ordinateur », aime comparer Pierre Testud. « Chaque trou dans le carton correspond au croisement de deux fuseaux. » Et pour réaliser un Jacquard, il faut connaître et surtout maîtriser les différentes étapes qui permettent de réaliser une pièce de dentelles. « La méthode Jacquard est à la fois très complexe et très ingénieuse », résume le dentellier de Lantriac, équipé de métiers allant de 36 à 88 fuseaux dans son atelier des Pandraux. Lorsque le Jaquard est mis en place, un système d’aiguilles vient contre les lamelles de carton. « Soit les aiguilles rentrent dans le trou, sinon elles reculent ». Tout part de là pour actionner ensuite les fuseaux à tour de rôle.

« À la fois très complexe et très ingénieux »

Pour réaliser le Jacquard, il faut découper des lamelles en carton de 22 mm de large. Chaque lamelle est ensuite perforée à l’aide d’une piqueuse. « Quand je piquais, c’était du 140 cartons à l’heure », se rappelle Pierre Testud. Il faut ensuite lier les lamelles en cartons entre elles, les coudre « pour réaliser une échelle complète ». Chaque échelle correspond donc à un motif de dentelle donné, comme le programme d’un ordinateur qui fabriquerait un modèle. « Une échelle peut aller de 48 à 400 ou 500 cartons suivant la complexité et la longueur du motif à réaliser. Plus la dentelle est large et plus l’échelle est longue. Chez Vacher, dans les années 1950, ils avaient un Jacquard sur la Passion du Christ qui faisait peut-être 100 mètres de long, une pièce unique ! Les anciens disaient que le Jacquard de cette pièce montait plusieurs fois au plafond pour pouvoir être déroulé ! »

Étape par étape

Dessin

La première étape de la réalisation d’une dentelle est celle du dessin. Sur un papier quadrillé, il faut traduire ce que le motif va nécessiter comme différentes opérations. Une étape cruciale, qui nécessite une totale connaissance du process. « Soit le client arrive avec sa pièce de dentelle, soit il en a le motif dessiné ». Pierre Testud a aussi créé ses propres dentelles, une quinzaine de modèles en tout.Photo Lionel Ciochetto 

JacquardPhoto Lionel Ciochetto

Le carton Jacquard est un ensemble de bandelettes cartonnées de 22 mm de large, perforées et cousues entre elles, formant ce qui va devenir « le programme » du métier à dentelle. Un trou dans le carton correspond au croisement de deux fuseaux.

 

FuseauxPhoto Lionel Ciochetto

La bobine est installée sur un fuseau mécanique. Le métier est équipé d’un certain nombre de fuseaux. Le mécanisme du fuseau comprend entre autres un ressort, d’une certaine tension, dont le choix et l’ajustement sont très importants. Chaque bobine de fil doit au préalable être préparée (à partir d’une canette vide) avant d’être enfilée sur les fuseaux. Il faut ensuite passer le fil à l’intérieur, avec des outils spécifiques. 

 

FonctionnementPhoto Lionel Ciochetto

Chaque fuseau mécanique déroule ensuite sa bobine à un moment précis, commandé par le Jacquard, pour permettre la réalisation du motif de dentelle voulu.