ru24.pro
World News
Июль
2024

Bistros de campagne : à 95 ans, Lili, tient le dernier bar de Saint-Fargeol

0

Depuis des décennies, presque rien n’a bougé. Les murs orange. Les petites tasses fleuries. Les tables en formica dépareillées, autour desquelles les habitués sirotent leur boisson.

Chez Lili, le dernier bar de Saint-Fargeol (198 habitants), le temps semble s’être arrêté. Derrière le comptoir, sa propriétaire Félicie Dechartre dîte "Lili", 95 ans, veille au grain sur son petit monde.L'ambiance était au rendez-vous. 

"C’est notre Lili"

Ici, quand on entre, on se sert la main, on se donne l’accolade, on se claque la bise. Tout le monde se connaît et le train-train quotidien rassure. Il y a François, toujours le premier arrivé. Dès l’ouverture, il part s’enfoncer dans le même fauteuil rouge, un peu à l’écart, avale son café et repart. Il y a cet employé agricole taiseux en habit de travail qui, après sa matinée, sur les coups de 10 heures, vient boire son rosé. Ici, le verre de vin est à un euro. Et rempli à ras bord.

"C’est pas cher", commente Claude Monnet, 76 ans qui sirote un ricard. Si le prix et les doses généreuses comptent, pour cet habitué de Marcillat, plus que tout, c’est parce que c’est "notre Lili". "Une copine" qu’il connait depuis des décennies.

Claude Monnet (à gauche) est venu avec son ami, ancien vendeur de fromage. 

Quand il était marchand de boissons, il lui apportait "du vin, de la bière et même de l’eau". Comme beaucoup, cet ancien a connu une autre époque. Avant, en plus du bistrot, il y avait une activité de boulangerie. On venait de loin pour les massepains, la spécialité de Jean, le mari de Lili. Un biscuit à base d’amandes.

Il y avait aussi l’épicerie et "la seule cabine téléphonique du village pendant des années". Depuis la mort de Jean, il y a trente ans, seul le bar subsiste. Les rayonnages de l’épicerie sont désormais vides, si ce n’est quelques cartouches de tabac pour les habitants.

Le bar propose quelques cartouches de tabac. 

Le poumon du village

À Saint-Fargeol, il y avait "cinq commerces à un moment", dénombrent les habitués. Des petites épiceries, des bars qui faisaient vivre le bourg. Et puis, comme dans toutes les campagnes, l’exode rural a frappé et ces lieux de vie ont peu à peu disparu. Aujourd’hui, Lili est la dernière tenancière. "Elle fait de la résistance", assure Fernando Azevedo, le maire du village venu prendre le café. Ce bar, "on veut le garder le plus longtemps possible. Quand il n’y en a plus, le village meurt", soupire l’élu.

Et puis, ce sont des souvenirs. Fernando Azevedo s’est marié, là, dans la grande salle derrière le bar, "en 1973", se souvient Lili dont la mémoire ne fait jamais défaut. "Tant que je peux me déplacer et que j’ai ma fille Marie-Françoise, je continuerai. Après, la porte sera fermée", assure Lili.

"C’est dommage…", soupire sa fille, émue aux larmes. Ce bar, c’est une véritable institution. Lili ouvre tous les matins, jusqu’à 13 heures, chaque jour. Le secret de sa longévité : l’activité ? La "vittel-cassis" qu’elle affectionne ? Et pourquoi pas l’air paisible de Saint-Fargeol.

Derrière le comptoir

Chez les Dechartre, ce bistro au cœur de Saint-Fargeol, c’est une histoire de famille. Des générations se sont succédé à sa tête pour faire vivre cet endroit mythique. Aujourd’hui, à presque 100 ans, Lili tient encore les rênes.

Officiellement, elle s’appelle Félicie Dechartre. Au village, pourtant, tout le monde la connaît sous le doux surnom de "Lili". Un sacré bout de femme que le sourire, emprunt de bonté, ne quitte jamais. Lili, elle est du "pays" : née en 1929 à Mazerat, à quelques kilomètres de Saint-Fargeol. Et puis, elle a épousé Jean dont la famille tenait ce bar-tabac/épicerie qu’elle n’a jamais quitté.

Aujourd’hui, âgée de 95 ans et malgré de lourds problèmes de vue, elle ouvre toujours, chaque matin, religieusement son bistrot. "Ça m’occupe. J’aime bien rencontrer du monde", admet la nonagénaire. Une tendre histoire, possible grâce à Marie-Françoise, sa fille. Cette jeune retraitée, ancienne préparatrice en pharmacie, reste auprès de sa mère pour l’aider dans toutes les tâches. Une aide précieuse et discrète. Chez les Deschartre, pudeur et modestie sont de mise.

Lili et sa fille Marie-Françoise font vivre ce lieu familial. Les deux femmes se trouvent ici dans la salle arrière du bar où avait lieu les réceptions de mariage.  

Devant le comptoir

Corentin Reboul, ancien habitant. Fils de l’un des conseillers municipaux, cet étudiant de 23 ans, expatrié à Paris, connaît bien le lieu, il y a même tourné un court-métrage avec son frère. "Ici, le temps passe différemment, on est coupé du rythme très rapide de la société. Le temps est dilaté." 

Corentin Reboul, étudiant à Paris, se retrouve parfois en famille dans ce bar.

Gaston Baile, habitué. À 73 ans, l’homme, vivant entre la Creuse et Saint-Gervais-d’Auvergne, fait souvent un détour par le bar pour "boire un coup avec les copains". "Mais quand Lili ne sera plus là, je me demande si je vais toujours passer par Saint-Fargeol." 

Fernando Azevedo, maire. L’élu ne tarit pas d’éloge pour la presque centenaire. "Lili, c’est quelqu’un d’extraordinaire. À notre époque on n’en voit plus. Pour faire ce qu’elle fait, il faut l’envie et le cœur. Tout se passe toujours bien ici. Avec Lili il n’y a jamais de souci." 

Le maire de la commune n'a pas hésité à venir faire un petit saut chez Lili pour boire un café à notre venue et nous compter les histoires du village. 

 

Texte: Camille Gagne Chabrol 

Photos : Florian Salesse