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Июль
2024

Au Rassemblement national, les étranges alliés de Mohamed VI

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Au Parlement européen, Thierry Mariani a ses marottes. Le Maroc en est une. Ce 19 janvier 2023, l’eurodéputé Rassemblement national vole une fois de plus au secours du royaume chérifien. L’hémicycle strasbourgeois vient de voter une résolution invitant les autorités marocaines à "respecter la liberté d’expression et la liberté des médias" et à garantir un "procès équitable" à plusieurs journalistes emprisonnés, dont Omar Radi - connu pour ses prises de position critiques envers le pouvoir et incarcéré depuis l’été 2020 pour "atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat" et "viol". Thierry Mariani prend le micro, déplore que "la gauche européenne ne condamne jamais l’Algérie [NDLR : grand rival du Maroc] et que l’Union européenne lui passe tout". Et de conclure ainsi sa plaidoirie : "Ce n’est pas au Parlement européen de s’essuyer les pieds sur la justice marocaine".

Le royaume n’aurait pu rêver meilleur défenseur. Le mois suivant, rebelote. L’assemblée vote cette fois pour contrer les tentatives d’ingérence de puissances étrangères au sein des institutions européennes, à la suite du "Marocgate" et du "Qatargate", scandale de corruption de plusieurs eurodéputés dans lequel Rabat est mis en cause. Le Maroc est cité à deux reprises dans la résolution. "Une mesure inutilement vexatoire", fulmine Thierry Mariani dans une interview au très loyaliste site marocain Le 360. L’élu, connu pour ses penchants pro-Poutine et pro-Bachar-el-Assad, ne semble pas indifférent non plus au roi Mohammed VI. Et il n’est pas le seul dans sa famille politique.

"Le Front national – devenu Rassemblement national – a toujours eu des affinités avec certains mouvements nationalistes arabes, tels que le Baas en Syrie et en Irak ; Jean-Marie Le Pen a été reçu par le roi Hassan II du Maroc en 1990. Ils avaient en commun de promouvoir un ‘nationalisme chez soi’" explique l’historien Pierre Vermeren auteur de Le Maroc en 100 questions. Un royaume de paradoxes (Tallandier, 2020).

De fait, les opinions du souverain Hassan II sur les Marocains émigrés en France n’étaient pas si lointaines de celles de l’extrême-droite. "Renvoyez-les-moi. C’est à nous, leur famille d’origine, de se presser les méninges pour leur trouver du travail" déclare-t-il, cigarette aux lèvres, dans l’émission "Face à la presse" sur TF1, en 1991. Deux ans plus tôt, invité de "L’heure de vérité", le roi prône une "immigration contrôlée", se dit hostile au vote des étrangers résidant en France ainsi qu’aux mariages mixtes, et affirme être intervenu pour que des adolescentes marocaines de Creil (Oise) renoncent à porter le voile.

Les alliés sulfureux de "M6"

Autre temps, autre roi… Mohammed VI ("M6"), héritier du défunt Hassan II, beaucoup moins friand des caméras, et en froid depuis des années avec le président français – Emmanuel Macron n’aurait toujours pas digéré de voir son téléphone personnel ciblé par le logiciel espion Pegasus –, s’attire les faveurs du RN sur une autre cause sacrée : la "marocanité" du Sahara occidental, ce territoire situé au sud du Maroc, revendiqué à la fois par Rabat et par les indépendantistes du Front Polisario (soutenu par l’Algérie).

"Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international, déclare M6 le 20 août 2022. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit." Sur ce sujet sensible, la France affiche depuis quinze ans la même ligne, soit un soutien au plan d’autonomie proposé par Rabat en 2007, sans entériner clairement l’appartenance de ce territoire au Maroc.

Au RN, en revanche, peu de place au doute. "Nous devons renouer avec Rabat notamment en reconnaissant la marocanité du Sahara occidental et en cessant notre soumission à Alger", tweete Thierry Mariani le 22 septembre 2023. Sur ce sujet, Mohammed VI ne manque pas de relais dans les cercles d’extrême-droite. L’un de ses plus fervents défenseurs n’est autre que Jean-Claude Martinez, vieux crocodile du Front national, dont il a été vice-président de 1985 à 2008, aux côtés de son ami Jean-Marie Le Pen. L’homme de 78 ans connaît bien le Maroc, il y a même été inspecteur général des finances… et conseiller fiscal d’Hassan II ! Enseignant en droit, Martinez ne loupe pas une occasion de défendre la sainte cause du Sahara occidental. Par exemple dans cette tribune pour l’hebdomadaire d’extrême-droite Valeurs actuelles, en février 2018. Présenté comme simple "professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas", il s’y inquiète "d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui pourrait reconnaître l’existence d’un Etat indépendant recouvrant les terres sahariennes du Maroc." Trois ans plus tôt, il publiait une ode à la monarchie marocaine : Mohammed VI, le roi stabilisateur.

Sentiment anti-algérien

"Le courant royaliste présent au sein du RN a toujours milité pour l’amitié avec le Maroc, reprend Pierre Vermeren. Et du côté de Rabat, tout royaliste – qu’il soit en Espagne, au Royaume-Uni ou en France – est un ami potentiel." Parmi ces monarchistes convaincus, citons Bernard Lugan, historien africaniste dont les thèses sont décriées par la plupart de ses pairs. Né à Meknès au Maroc, sympathisant de l’Action française puis membre du FN dans les années 1980, il épouse la théorie du "grand remplacement" et conseillera d’ailleurs le candidat Eric Zemmour lors de l’élection présidentielle de 2022.

Look vieille France, moustache fournie, ce royaliste très apprécié dans les milieux militaires (il a longtemps donné des cours à l’IHEDN ou à l’Ecole de guerre) l’est tout autant des plateaux télévisés marocains. En mai dernier, à l’occasion de la sortie de son ouvrage, Le Sahara Occidental en 10 questions (Ellipses, 2024), il est l’invité de la chaîne Medi1. La présentatrice encense ce "livre phare" qui "expose avec une rare limpidité les raisons de la marocanité du Sahara". "Un argumentaire d’une redoutable efficacité, poursuit-elle […], un legs livré par l’un des plus éminents experts de la question".

Lequel n’a de cesse de vilipender l’Algérie. Bernard Lugan nie notamment dans un article publié sur son blog le drame du 17 octobre 1961, lorsqu’une manifestation d’Algériens à l'appel du FLN à Paris a été réprimée dans le sang – un "massacre imaginaire". "Le sentiment anti-algérien est un élément majeur de convergence entre le royaume et le RN, rappelle le journaliste marocain Omar Brousky. C’est notamment un thème mobilisateur dans les familles pieds noirs." Comme le maire RN de Perpignan Louis Alliot, fils d’une rapatriée d’Algérie.

Le jeune Jordan Bardella, plutôt discret sur ce sujet jusqu’à présent, marchera-t-il, s’il gouverne demain, dans les pas des "anciens" du RN ? "Si un gouvernement RN arrive à Matignon, les rapports avec le Palais seront au top !, ironise Omar Brousky. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a encore un président qui s’appelle Emmanuel Macron, qui a de très mauvaises relations avec Rabat et que la politique étrangère reste souvent un domaine réservé." Interrogé par le site Le 360, l’ancien conseiller de Marine le Pen, Aymeric Chauprade, affirme sans ambages que "Marine Le Pen reconnaîtra la marocanité du Sahara si elle est élue en 2027." "En mode de cohabitation, le RN ne sera pas en capacité de faire totalement ce qu’il veut sur le plan international, admet-il. En revanche, il sera en capacité de freiner, bloquer, modérer le président Macron sur un certain nombre d’initiatives."

Aux côtés de Jordan Bardella, un homme devrait lui aussi œuvrer en ce sens : Eric Ciotti, le patron des Républicains nouvellement allié au RN, a rencontré le 5 mai 2023 le Premier ministre marocain Aziz Akhannouch. Le jour même, il s’affichait à la Une de l’un des hebdos les plus lus du Maroc, aux côtés de Rachida Dati. Avec ce titre sans équivoque : "Nous reconnaissons la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental".