Comment créer de la richesse : le silence inquiétant des candidats aux législatives
"Du progrès et des lendemains qui chantent", pour le Nouveau Front populaire (NFP). "Un vent d’espérance s’est levé sur la France, et il ne fait que commencer", pour Jordan Bardella. Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, le 9 juin dernier, les blocs de gauche et d’extrême droite rivalisent d’emphase pour convaincre les électeurs qu’ils incarnent une alternative capable de redonner aux Français la capacité de rêver. Pour cela, ils misent sur un programme social très généreux. Le Rassemblement national propose pêle-mêle la baisse de la TVA sur l’ensemble des produits énergétiques, l’abrogation de la réforme des retraites, la garantie de prix rémunérateurs pour les agriculteurs, ou encore la suppression de l’impôt sur le revenu des jeunes de moins de 30 ans.
Si le RN a entre-temps tempéré ses promesses en retirant ou en repoussant à plus tard les propositions jugées les plus irréalistes qui figuraient dans ses propositions de 2022, le "contrat de législature" du NFP, qui prévoit notamment le blocage des prix des biens de première nécessité et la retraite à 60 ans, est un festival de dépenses : augmentation du smic à 1 600 euros net, revalorisation de l’aide personnalisée au logement (APL) de 10 %, garantie d’un prix plancher pour les agriculteurs, renforcement du budget public consacré à l’art, la culture et la création pour le porter à 1 % du PIB par an, augmentation des moyens de la justice, et ainsi de suite pour l’école, la santé, les transports, l’écologie, le logement, les retraites ou les services publics… Un programme chiffré à 125 milliards d’euros par le Nouveau Front populaire, et à 233,3 milliards par la Fondation Ifrap. Noël avant l’heure, en somme.
Les 26 pages du programme de gauche sont une déclaration d’amour à l’interventionnisme étatique. Les termes "plan" et "planification" apparaissent à eux deux 27 fois ; "augmenter" (les dépenses), 11 fois ; "aide", 10 fois ; "interdire" et "organiser", 9 fois ; "abroger", 8 fois ; "protéger" et "soutenir", 4 fois ; "états généraux", 3 fois ; et "réglementer", 2 fois.
Quant au programme économique du RN, moins détaillé, la redistribution et l’intervention de l’Etat y occupent là aussi une place non négligeable.
"La France de 2024 ressemble étrangement au Royaume-Uni de 1979"
Débattre sans cesse des meilleurs moyens de répartir équitablement les richesses tout en évitant soigneusement de discuter des politiques économiques les plus favorables à la prospérité ? Aucune des trois principales formations politiques candidates aux législatives ne semble s’intéresser à la question. Les termes "croissance", "richesse" et "prospérité" n’apparaissent pas une seule fois dans le programme du Nouveau Front populaire. Dans celui du RN, vous croiserez deux fois "prospérité", une fois "croissance" et "richesse".
"La teneur des débats m’inquiète, parce que, d’une certaine manière, la France de 2024 ressemble étrangement au Royaume-Uni de 1979… il y a le même malaise identitaire, accompagné d’une crise de la croissance et de taux de fiscalité très élevés", explique l’économiste Vincent Geloso, de l’université George Mason, aux Etats-Unis. A cette différence près : "Le problème, c’est qu’on est très loin d’avoir une Margaret Thatcher dans le paysage politique français."
Les libertés économiques, conditions de la prospérité ?
Au "shot de keynésianisme" proposé par les deux blocs politiques en tête dans les sondages, le chercheur aurait préféré un "choc de libertés économiques". "La réalité, c’est que le libre marché est très efficace pour créer de la richesse", affirme Vincent Geloso. Depuis les années 1990, les études parues dans des revues à comité de lecture ayant démontré un lien positif entre libertés économiques et prospérité ne manquent pas. En 2022, l’économiste américain Robert A. Lawson a effectué pour l’institut Fraser une méta-analyse (méthode scientifique qui consiste à combiner les résultats de plusieurs études indépendantes sur un même sujet) dans laquelle il a analysé les résultats de 700 articles économiques s’intéressant à l’impact des libertés économiques sur la croissance et les conditions de vie. Parmi ces études, 50,6 % ont trouvé un lien positif, 44,8 % n’ont pas identifié de relation claire et 4,6 % ont décelé un lien négatif.
Pour Vincent Geloso, de tels résultats pourraient toutefois être au-dessous de la réalité. Dans un article coécrit avec Sean P. Alvarez et Macy Scheck, à paraître dans la revue académique European Journal of Political Economy, l’économiste invite ses collègues à revoir à la hausse leurs estimations de l’impact des libertés économiques sur la prospérité. La raison ? Les Etats autoritaires et illibéraux auraient tendance à mentir sur l’état réel de leur économie et du niveau de vie de leur population, faussant ainsi les résultats des études comparant les pays libéraux aux pays illibéraux. "Pour corriger ces données, détaille Vincent Geloso, on a utilisé les images satellites qui permettent de mesurer l’intensité lumineuse de chaque pays, car on sait que plus un pays est riche, plus l’intensité lumineuse est forte." "La correction de ce biais, écrivent les trois économistes, montre que la relation entre la liberté économique et le développement économique est plus forte que ce qui est généralement décrit."
La France, un "no man’s land" libéral ?
"L’obsession française de la redistribution, que l’on a pu observer pendant cette campagne législative, occupe une place centrale dans les débats économiques, au détriment de questions pourtant élémentaires, comme ’comment crée-t-on de la richesse' ?" regrette Kevin Brookes, enseignant-chercheur en sciences politiques. "Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, domine en France un paradigme keynésien autour duquel il y a un consensus", poursuit le chercheur. Autrement dit, le libéralisme économique n’a jamais eu le vent en poupe en France, et ses élites politiques autant que les électeurs sont fidèles à cet héritage. Mais à quel prix ?
A bien des égards, le bloc central apparaît comme le moins illibéral. En 2017, Emmanuel Macron lançait son premier mandat avec ses "ordonnances travail", réformes visant à redonner de la flexibilité aux entreprises et à libéraliser le marché du travail. Entre son arrivée au pouvoir et la fin de 2022, 1,773 million d’emplois ont été créés. Le président de la République a souhaité également faire de la France un pôle d’attractivité pour les capitaux étrangers. Lors de la septième édition du sommet Choose France, qui s’est tenue à Versailles le 13 mai, 15 milliards d’euros d’investissements ont été récoltés.
Coincé entre deux forces politiques qui se livrent une véritable bataille de générosité, le camp présidentiel a donc joué la carte de la responsabilité. Face à Jordan Bardella et à Manuel Bompard, sur TF1, Gabriel Attal a dénoncé la démagogie et l’irréalisme des programmes de ses adversaires : "La différence entre mes concurrents et moi, c’est que je suis Premier ministre, je n’ai pas envie de mentir aux Français, je n’ai pas envie de leur faire croire à la lune, de leur faire croire que tout pourrait par magie être financé."
Il reste que, "en même temps" oblige, Emmanuel Macron a gardé un pied dans l’interventionnisme économique. Les mesures prises pour régler la crise des gilets jaunes (annulation de la taxe sur le carburant, augmentation du smic, réduction de la CSG…) ont par exemple coûté près de 17 milliards d’euros à la collectivité. Avec une augmentation de la dette de 862 milliards d’euros en sept ans, difficile d’imaginer que le "choc de libertés économiques" viendra du camp présidentiel.