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Июнь
2024

Bilal Hassani : "On me voulait porte-drapeau d'une génération fière… mais lisse"

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Têtu 

Le très créatif Bilal Hassani célèbre le mois des Fiertés avec un nouvel album, Glitter Sleaze Utopia, tout en signant des débuts audacieux au cinéma. On a fait le point avec le chanteur devenu explorateur qui ne se fixe désormais plus aucune limite.

Deux ans et demi après sa une emblématique de têtu·, Bilal Hassani n'en finit pas de se renouveler. Le chanteur aujourd'hui âgé de 24 ans a ainsi ce mois de juin Glitter Sleaze Utopia, une mixtape – c'est-à-dire un assemblage de morceaux sans lien entre eux, contrairement à ses trois précédents albums, plus conceptuels – dans lequel il se lâche et donne libre cours à sa créativité. Il fait également en parallèle ses premiers pas au cinéma, d'abord dans Les Reines du drame, d'Alexis Langlois, projeté à Cannes, puis dans Nino dans la nuit, de Laurent Micheli (Lola vers la mer). Après s'être interrogé sur le genre et sa propre identité, le voici affamé de challenges et explorateur de son image.

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  • Contre-soirée racontait une nuit de fête, Théorème parlait santé mentale… Pour ce nouveau projet, pourquoi avoir préféré miser sur une mixtape ?

À la fin de la promo de Théorème, je me suis dit que j'allais m'épuiser si je continuais à fournir un album par an. C'était un peu devenu de la torture pour moi de chercher des concepts… Je voulais reprendre goût à la création et revenir à ce que je faisais dans ma chambre quand j'avais 14 ans. Une fois en studio, on a rendu l'expérience ludique et ça m'a permis d'écrire avec moins de pression et de complexes. Je me disais que c'était des choses qui ne sortiraient peut-être pas.

  • Plutôt qu'un album par an, tu voudrais désormais sortir une mixtape chaque année pour le mois des Fiertés. T'es sûr de pouvoir t'y tenir ?

J'aimerais bien avoir un rendez-vous annuel mais ça pourrait être un album, une mixtape, un EP… Je ne vais pas tout dire tout de suite car je vais spoiler celui de l'an prochain. Je me dis que le mois des Fiertés est quand même un moment où je respire mieux. Je me sens toujours plus libre.

  • Même sans concept fédérateur, il y a beaucoup de toi dans ces chansons. Comment s'est passé l'enregistrement ?

Au début, je voulais que le studio soit un terrain de jeu amusant avec mon producteur. Quand j'arrivais, je faisais des blagues, je racontais des anecdotes… Parfois, ça nous aidait à savoir de quoi on allait parler. Et au fur et à mesure, on s'est rendu compte qu'il y avait des répétitions, dans ce que je vivais, dans les problèmes que j'avais… On a noté une certaine immaturité émotionnelle en moi, et on a voulu tiré ce fil.

  • Admettre une forme immaturité chez soi, ce n'est pas si fréquent…

Je pense que c'est important de reconnaître que, dans la commu, en amour, on n'a pas eu accès à un développement sain, pas vécu certaines étapes formatrices comme se tenir la main dans la cour de récré, s'écrire des petits mots, avoir un petit bisou durant les années collège… La vie amoureuse de nombreux queers débute à l'arrière d'une Volvo avec un mec qu'on ne connaît pas. Forcément, ça dérègle un peu. Je sais que le morceau "Les Amours imaginaires", où j'idéalise un amour qu'on ne peut pas connaître, ne parle pas qu'à moi.

  • Dans "2m02" et "Les Amours imaginaires", l'idéal masculin que tu évoques semble totalement inaccessible. C'était l'idée de base ?

En fait, dans la liste de courses de "2m02", on trouve effectivement des images fortes qui appellent à ce physique gargantuesque d'over-masculinité. C'est un fantasme à travers lequel je pose aussi un regard critique sur moi-même, en faisant référence à d'anciens morceaux, comme "Millionnaire", qui n'est pas une chanson qui parle d'argent mais d'intellect. Glitter Sleaze Utopia est également rempli de références, je laisse le soin au public de creuser un petit peu mon univers pour comprendre de quoi je parle.

  • Il y a aussi dans ton album une petite touche de Charli XCX, non ?

Son nouvel album, Brat, est un scandale. Je ne sais pas à quel point les gens se rendent compte de ce qu'il se passe : tous les producteurs et les chanteuses se sont appelés pour en parler. Dans moins de six mois, il va y avoir une dizaine de singles qui vont sonner exactement comme Brat. Elle est très, très forte.

  • Certains voient en Glitter Sleaze Utopia un virage un peu plus trash. Tu cherchais à provoquer ?

Je ne cherche jamais à attirer l'attention de gens que je ne veux pas toucher. Le morceau "2m02" est sorti le même jour que beaucoup d'autres singles : stratégiquement, je voulais qu'il explose les oreilles des gens. Ce n'est pas une chanson vulgaire, par contre c'est la plus bruyamment queer de l'album.

  • Prends-tu plaisir à te sexualiser davantage dans tes chansons ?

C'est important. Je ne suis pas une star-enfant de Disney Channel, mais j'ai fait l'Eurovision en étant maghrébin et homosexuel en 2019 dans un espace médiatique où il n'existait que très peu de personnes comme moi. Au début de ma carrière, je me mettais des limites et les labels m'interdisaient de parler d'amour, d'attirance, de désir, etc. Ces émotions, il ne fallait pas qu'elles existent. On me voulait mascotte, porte-drapeau, visage d'une génération fière… Fière mais lisse. Ça bout en moi depuis longtemps, et aujourd'hui je pense qu'il est nécessaire d'affirmer que je ne suis pas une chose mais un humain qui aime, qui vibre, qui échoue et qui se relève.

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  • Plusieurs artistes gays ont misé sur un virage plus cul comme Lil Nas X ou Troye Sivan. Ce sont des figures qui t'inspirent ?

Je me réjouis de voir ce qui se passe sur scène dans le show de Troye Sivan et comment Lil Nas X raconte ce qu'il ressent et ce qu'il aime à travers ses chansons. Ces artistes ont voulu casser un peu les murs pour montrer qu'on existe. En réponse à ça, il y a une montée du fascisme et des violences LGBTphobes. Mais on ne va pas nous éclipser : on va continuer d'affirmer qu'on existe et on va le faire encore plus fort.

  • Tu performeras à plusieurs marches des Fiertés cette année. Cette tournée aura-t-elle une saveur particulière au vu des derniers résultats aux élections européennes ?

Ah mais c'est catastrophique ces résultats ! Je vais essayer d'utiliser ma voix pour rappeler l'importance du vote. Avec la mise en place du Front populaire, ce n'est pas très compliqué.

  • J'ai vu que certains twittos étaient surpris de te voir chanter en live chez France Inter. Comme une rencontre de mondes très différents. Tu le vois comme ça ?

Quand j'ai commencé, j'étais très sage, mais l'image que je renvoyais était encore choquante pour certaines personnes en France, qui ne me comprenaient pas. J'étais extrêmement frustré des scandales qui s'abattaient sur moi, parce que j'estimais n'avoir rien fait. C'est fou : j'essaie tant bien que mal d'être la version la plus polie et pudique de moi-même, mais eux, ce qu'ils voient, c'est quelque chose de sale et de dérangeant. Maintenant, je veux m'amuser de ça plus frontalement. Chanter "2m02" sur France Inter à 17 h, ça fait partie de cette démarche.

  • Tu débutes aussi au cinéma dans le film Les Reines du drame, d'Alexis Langlois, où tu joues un youtubeur adorateur de popstars. On ne t'attendait pas dans un rôle aussi humoristique, presque biographique…

Je me suis un peu découvert une passion pour les rôles comiques. Je ne pensais pas que ce serait si amusant et exaltant pour moi. Faire rire, ce n'est pas mon créneau : je fais rire mes copains au bar. Mais avec le rôle de Steevy, dès que j'étais un petit peu plus recroquevillé, il y avait plus de rires sur le plateau et ça me faisait du bien. Et puis elle est un peu affreuse, Steevy ! Je pense que ça m'a beaucoup aidé ! Être enlaidi avec toutes ces prothèses, c'était étrangement libérateur.

Quand Alexis Langlois m'a appelé, iel ne savait pas que j'étais très fan de son travail. J'avais déjà reçu des scénarios mais je ne voulais pas participer à des films qui me semblaient tièdes ou pas utiles. En revanche, l'idée de jouer quelque chose de totalement opposé à moi, je me suis dit que ça allait être thérapeutique. Foutre mon personnage de Bilal Hassani au placard pendant un mois et demi pour devenir cette créature complètement crazy, c'était jouissif.

  • On va aussi te voir dans Nino dans la nuit, de Laurent Micheli (Lola vers la mer), qui sortira en 2025…

C'est l'adaptation d'un livre éponyme où l'on suit quatre jeunes à Paname qui vivent dans une précarité vraiment étourdissante et déchirante. J'interprète Malik, le meilleur ami du héros. C'est un peu la grande sœur du groupe, une figure très calme. Alors que Les Reines du drame tient totalement de la fiction, Nino dans la nuit est beaucoup plus ancré dans le réel.

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>> Glitter Sleaze Utopia, de Bilal Hassani. Déjà disponible.

>> Les Reines du drame, d'Alexis Langlois. En salles le 18 décembre 2024.

>> Nino dans la nuit, de Laurent Micheli. En salles en 2025.

Crédit photo : Tsuvasa Saikusa

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