Habemus Bastard, Gen War, Gonzo, Envoyez l'armée ! : nos lectures BD du mois de mai
Habemus Bastard
"Je m’appelle Lucien. Je suis un homme de main… J’ai lu que dans la Bible, Dieu tue2,8 millions de personnes… Dieu est un génie créatif lorsqu’il est contrarié… Toujours est-il que Lucien se retrouve dans la peau de père Philippe, dans la charmante paroisse de Saint-Claude, dans le Jura. Rapidement, il indique avoir fait vœu de cavale, en s’appuyant sur le précepte La soutane ou la mort." Le parallèle avec la série télé Banshee peut ici s’opérer avec ce voleur de haut rang qui s’installe dans une petite ville de Pennsylvanie, où il se fait passer pour le nouveau shérif ayant repris les insignes du vrai qui vient d’être assassiné sous ses yeux. Dans les deux cas de figure, la supercherie est haute en couleur. Âmes sensibles, prière de s’abstenir. La suite est attendue à l’automne.
Habemus Bastard L’Être nécessaire (tome I)Par Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann. 88 pages, 19,99 euros, chez Dargaud (depuis le 3 mai).
La diplomatie du ping-pongCette bande dessinée revient sur l’histoire vraie d’un hippie, joueur de ping-pongaméricain, qui entraîne une reprise inattendue des relations diplomatiques entre la Chine et les USA, grâce à la magie du flower power. Pour un peu, on se croirait dans le film Forrest Gump avec Tom Hanks. Glenn Cowan, le fameux joueur de ping-pong était farfelu et d’un niveau moyen. Faisant fi des consignes, lors des championnats du monde de 1971 au Japon, il rate son bus après une séance d’entraînement et se retrouve par hasard dans celui de la délégation chinoise avec Zhuang Zedong, triple champion du monde. Les deux finissent par sympathiser. Et par la magie de ce héros américain, en mode tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, on arrive à rééquilibrer les forces géopolitiques. Quel pouvoir, cette petite balle !
Récit complet d’Alcante (scénario) et Alain Mounier (dessin et couleur). 112 pages. 23,95 euros. Delcourt, col. Coup de tête (depuis le 2 mai).
Envoyez l'armée !Il suffit de regarder dans le coin à droite de la couverture de cet album pour voir de quoi est capable Fabrice Erre en matière d’humour désopilant et blindé. Dans notre monde complexe, que dirions-nous si envoyer l’armée était LA solution pour régler tous les problèmes ? Les agriculteurs ? L’armée. Les gilets jaunes ? L’armée. Les routiers ? L’armée. Les profs ? L’armée. Le président russe ? L’armée. Oui mais non. Trop tard. L’ordre a été donné. Par ailleurs, imaginons que les forces armées se consacrent au combat contre le réchauffement climatique. Quelles seraient leurs cibles ? Les automobilistes, les gens avec leurs barbecues, les touristes en avion, les gens qui respirent… On imagine aisément le carnage, non ? Mais que voulez-vous, la volonté politique ne s’encombre pas toujours de considérations que les militaires finissent d’aplanir !
Envoyez l’armée ! 64 pages, 13,50 euros, chez Delcourt ; col .Pataquès (depuis le 2 mai).
Gen WarGen War, Level 1 et Level 2, voici les deux premiers albums de la nouvelle série de MO/cdm, un dessinateur biberonné à l’humour sarcastique de Gotlib, évidemment publié par Fluide Glacial. Remis en forme à partir d’histoires déjà publiées en 2013, Gen War se situe dans un monde post-apocalyptique, après la révolte des jeunes, consécutive au retrait des trottinettes en libre-service. Dédé, 78 ans, est l’un des leaders des vieux, section Michel Drucker, prêt à mener des missions commando en territoire ennemi pour aller chercher son vin blanc, sous la menace de jeunes aux chaussettes sales, écoutant du rap, nourris aux frites et au ketchup. Ce monde déglingué est l’occasion de multiplier les gags satiriques bien sentis, qui passent à la moulinette quelques travers de notre monde. En plus d’être drôle, c’est visuellement réussi.
Gen War, la guerre des générations (1 et 2) Scénario, dessins et couleurs MO/cdm, 56 pages, chez Fluide Glacial ; 9,90 € le T1, 15,90 € le T2 (depuis le 2 mai)
Gonzo
Morgan Navarro se met en scène dans le road-movie d’un dessinateur de BD angoissé qui part sur les traces de Hunter S. Thompson, célèbre journaliste et écrivain américain, devenu culte pour avoir inventé le style « gonzo », entre ultra-subjectivité et récit à la première personne. Accompagné de Jacky Souvant, reporter et producteur radio, l’auteur applique le concept de l’implication personnelle dans ce long récit, dans lequel on va finir par croiser le chemin Johnny Depp – apparition assez magique –, qui jouait dans Las Vegas Parano, le film de Terry Gilliam inspiré du roman le plus célèbre de Thompson. C’est mené à 100 à l’heure, drôle et inspiré, avec ce qu’il faut d’ironie et de recul sur soi-même pour se mettre le lecteur dans la poche. Cette aventure américaine se décline également avec un documentaire sonore réalisé par Jack Souvant, à venir sur Arte radio.
Gonzo, voyage dans l’Amérique de Las Vegas Parano De Morgan Navarro, 160 pages, chez Dargaud, 23 € (le 24 mai)
Pastorius Grant
Western crépusculaire aux couleurs directes flamboyantes et crues, Pastorius Grant est un roman graphique intense. Le personnage principal est un tueur à gages sur le point de passer l’arme à gauche qui arpente une ancienne réserve indienne, où il chasse autant ses démons qu’une nouvelle cible, un contrat à 5.000 dollars. Pastorius Grant fume, tombe de cheval, tousse, balance des aphorismes avec naturel, face à une petite fille aveugle, sortie de nulle part, et juché sur un cochon : "La vie a des ratés comme une jouvencelle a ses humeurs."
Les jaunes, les bleus, les rouges, les oranges, sont éclatants ; la couleur brute donne du rythme et de la force à ce récit, qui nous plonge dans la contemplation des paysages de l’ouest américain, jusqu’au final, forcément mortel. Un western mystérieux, puissant et visuel que l’on vous conseille vivement.
Pastorius Grant Marion Mousse, 116 pages, couverture cartonnée, quadrichromie, 21 euros chez Dargaud (le 24 mai)
Traque au CanadaDes chevaliers du ciel années soixante. Ce n’est jamais facile de s’installer dans une série iconique, surtout quand on revendique de se placer dans le sillage des créateurs. Dans leur tome 6 des aventures « classic » de Tanguy et Laverdure, Patrice Buendia et Matthieu Durand se montrent dignes des créateurs de la série, Charlier et Uderzo. Le premier pari est de situer les épisodes dans les années 1960, années des premiers exploits du duo d’aviateurs, dans Pilote. Si vous êtes nostalgique de cette époque, et même si vous avez un ado de 13 ans à la maison, Traque au Canada devrait faire le job. Le découpage des planches est énergique, le dessin de Durand précis et vif, les dialogues bien sentis et les rebondissements nombreux. Un divertissement réussi, à l’ancienne.
Tome 6 Traque au Canada Une aventure classic de Tanguy et Laverdure, par Patrice Buendia et Matthieu Durand, 48 pages, 15,50 €, chez Dargaud (le 17 mai).
Les Tribulations de Félix MogoCet ouvrage épais rassemble quatre histoires, épuisées depuis bien troplongtemps, écrites et dessinées par Christian Cailleaux : Harmattan le vent des fous, Le Café du voyageur, Le Troisième Thé et Tchaï Masala. Les aventures de Félix Mogo, jeune homme élégant et rêveur, ont le goût de l’aventure et de l’exotisme, en Afrique ou en Inde, des pays où l’auteur a vécu. Mais c’est surtout la simplicité et la délicatesse du dessin de Cailleaux qui vous embarque, avec un trait trempé dans une ligne claire classique, peut-être bien inspiré par Hugo Pratt, et tout à la fois personnel et moderne. Signalons que le dessinateur est à l’œuvre dans Le Cri du Moloch, le vingt-septième album de Blake et Mortimer, et encore La Flèche ardente, sortie en 2023.
Les tribulations de Félix Mogo De Christian Cailleaux, recueil de quatre récits. Glénat (col. Treize Etrange), 616 pages, 35 € (le 22 mai).
Lectures : Alexis Marie et Philippe Cros
