Etats-Unis : Rashida Tlaib, l'élue propalestinienne qui inquiète le camp de Biden
Pendant son discours sur l'état de l’Union, en mars, tous les démocrates du Congrès, comme le veut la coutume, n’ont cessé de se lever pour applaudir les propos de Joe Biden. Tous, sauf Rashida Tlaib, la représentante du Michigan, et une poignée d’élues arborant le keffieh palestinien qui sont restées assises pour protester contre le soutien des Etats-Unis à Israël. Depuis le début de la guerre à Gaza, la seule membre du Congrès d’origine palestinienne est le fer de lance de l’opposition à l’Etat hébreu. Elle accuse le président Biden et ses collègues démocrates d’être responsables d’un "génocide" en envoyant des armes à Israël. Et réclame un mandat d’arrêt à la Cour internationale de justice contre Benyamin Netanyahou. En février, lors des primaires démocrates du Michigan, elle a appelé à voter blanc en signe de mécontentement par rapport à la politique pro-Israël de Joe Biden. Plus de 100 000 électeurs ont suivi ses consignes ! Or, en novembre, ce genre d’abstentionnisme pourrait faire basculer ce swing state dans le camp trumpiste.
Elle est la bête noire des pro-Israël
Aînée des 14 enfants d’une famille de Palestiniens immigrés, Rashida Tlaib a fait des études de droit avant d’être élue en 2008 au congrès local du Michigan, puis de remporter un siège à la Chambre des représentants dix ans plus tard. Elle s’y fait vite remarquer par son franc-parler et des positions très à gauche. Cette mère de deux enfants, divorcée, devient la bête noire des pro-Israël après l’attaque du 7 octobre. Ils lui reprochent de ne pas assez condamner le Hamas et d’appeler "au démantèlement du régime d’apartheid". Début novembre, sur X, elle dénonce le soutien de Biden au massacre des Palestiniens et le prévient : sans cessez-le-feu, "ne comptez pas sur nous en 2024", dit-elle, sur fond d’images de manifestants qui scandent "du fleuve [NDLR : le Jourdain] à la mer, la Palestine sera libre", un slogan considéré comme un appel à l’élimination de l’Etat hébreu.
Pour les républicains de la Chambre, c’en est trop : ils lancent une procédure de censure. Une rare et sérieuse mesure disciplinaire réservée aux cas extrêmes. Rashida Tlaib, visiblement très émue, se justifie dans un discours : "Nous sommes des êtres humains", déclare-t-elle en brandissant une photo de sa grand-mère, résidant en Cisjordanie. "Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi les cris des Palestiniens n’ont pas la même résonance pour vous", ajoute la représentante du Michigan qui, à la suite de menaces de mort, se déplace avec des gardes du corps. Si beaucoup de démocrates la défendent, 22 d’entre eux votent avec les républicains pour la censurer.
"On ne me fera pas taire"
Les pro-Palestiniens, pour la plupart jeunes et très à gauche, restent minoritaires au Congrès. "Ils n’ont pas gagné plus d’influence, mais ils ont réussi à susciter davantage de débats critiques sur l’action d’Israël", estime le professeur Michael Kazin, spécialiste du Parti démocrate à l’université de Georgetown. A mesure que la crise humanitaire s’aggrave, les divisions s’accentuent dans le camp Biden. "Les attaques contre le gouvernement israélien s’intensifient, poursuit le Pr Kazin. Près de la majorité des élus démocrates sont en faveur d’un cessez-le-feu et veulent un président plus ferme." Ce qui reflète l’opinion de leurs électeurs. Selon un sondage, seulement 32 % d’entre eux se disent favorables à la livraison d’armes à Israël, une baisse de 15 points depuis octobre.
Le Congrès continue cependant à soutenir en bloc la politique de l’administration. En avril, la Chambre a voté pour une assistance militaire et humanitaire de 26 milliards de dollars à l’Etat hébreu. Seuls 37 démocrates, sur les 213, s’y sont opposés. "Dans un sens, c’est beaucoup, note Shadi Hamid, professeur d’études islamiques au Fuller Seminary. Voter contre une aide à Israël était naguère extraordinairement risqué." D’un autre côté, reconnaît-il, "37 semble un nombre faible" pour "une guerre aussi brutale et impopulaire". Le lobby pro-Israël se mobilise afin de torpiller la réélection en novembre prochain des opposants au gouvernement Netanyahou en finançant des candidats rivaux. Rashida Tlaib, dont la circonscription comprend un fort pourcentage d’Arabes américains, semble ne pas avoir d’adversaire sérieux, et a bénéficié d’un afflux de dons depuis qu’elle a été censurée. "On ne me fera pas taire", a-t-elle lancé à la Chambre.