« Oser parler de mon pauvre paradis » : rencontre avec Françoise Chandernagor, Creusoise avant tout
Un cèdre vénérable est en train de rendre l’âme au fond du parc. Cela désole Françoise Chandernagor. Et pas seulement parce qu’il occupait une place de choix dans la composition qui s’offre à elle depuis sa table d’écriture.
Depuis une autre fenêtre, la maîtresse des lieux pointe l’exutoire de l’étang attenant au parc : « Cette cascade, nous l’avons vue s’arrêter de couler pour la première fois en 2023, alors que nous sommes installés là depuis quarante ans ».
L’écrivaine conduit encore à l’étage, pour montrer un plan du XIXe accroché au mur, où l’on voit sa propriété, formant alors avec d’autres lieux-dits un immense domaine aujourd’hui démembré…
Il n’y a décidément rien d’immuable dans l’histoire de la Terre, encore moins dans celle des hommes. S’en souvenir. Et se souvenir. C’est l’une des grandes clés de lecture pour L’Or des Rivières. Le dernier livre de Françoise Chandernagor, dans lequel elle donne à pêcher beaucoup de choses.
Confinement Covid : une ode à la Creuse (03/2020)
Il a été « écrit en moins d’un an et entièrement là », dans sa demeure posée sur la frontière entre la Marche et le Berry, l’Oc et l’Oïl – mais forcément côté Creuse !
Noyée dans cinquante nuances de vert. Le GPS renonce au milieu de ces “bouchures”. Mais c’est bien là que pointe la boussole des Chandernagor – l’autre pôle se trouvant très loin au Bengale – depuis que le père, 103 ans aujourd’hui, y enracina une très longue carrière politique.
André n’était alors “que” gendre dans une famille de maçons. Et c’est ce fil-là qu’a choisi de tirer Françoise pour son livre inclassable parmi le reste de son œuvre.
Oser parler de mon pauvre paradis
Ici, ce n’est pas tant une fresque romanesque qui vous propulse dans l’Histoire – quoique les maçons creusois offriraient matière à une belle saga. Mais plutôt le portrait intime et minutieux d’une certaine identité. Creusoise. Celle qu’elle revendique.
« J’ai toujours su que j’écrirais sur la Creuse », sourit-elle. « Oser parler de mon pauvre paradis », écrit encore Françoise Chandernagor dans les toutes premières pages de l'ouvrage. Voilà bien une phrase qui concentre à elle seule toute la “creusitude”, si l’on peut dire.
Et raconte aussi la posture d’une grande écrivaine qui peut désormais tout se permettre. L’ouvrage est ainsi une autobiographie à peine romancée. Et si l’autrice s’écarte allègrement de cette ligne, ce n’est que pour mieux exprimer ses sentiments et opinions à propos de cette « île où l’on vient à pied ».
Selon les chapitres, L’Or des Rivières est un sublime traité sur la peinture de paysage – impressionniste bien sûr.
André Chandernagor a cent ans (2021)
Une étude d’ethnologie provinciale, autour de la fameuse coiffe creusoise ou du parler marchois – « quand ils ont voulu enregistrer la version audio, la maison d’édition a été bien embêtée avec nos mots de patois ! ».
Une scène de théâtre, où des figures locales revivent dans une mythologie toute cantonale, qui ne manque pas de faire sourire.
Un essai politique aussi. Entre l’évident héritage socialiste et quelques positions conservatrices assumées, Françoise Chandernagor interroge le sort de la ruralité dans la mondialisation et le changement climatique.
Les deux grandes forces qui bouleversent aujourd’hui les petits mondes, comme la Creuse. N’est-ce pas ce « Grand Réchauffement » qui fait se tarir la cascade et mourir les grands arbres ?
L’autrice est lectrice fidèle de La Montagne, nos pages sont plusieurs fois dans les siennes. « L’époque n’est pas drôle », lâche-t-elle.
Paris pour le Goncourt et les médecinsEn même temps que quelques coups : pour ceux du Plateau qui « barbouillent » l’écolier de Gentioux ; pour les promoteurs éoliens ; les services de l’État voulant supprimer des étangs qui figuraient pourtant sur la carte XVIIIe de Cassini ; la SNCF qui ne tient plus la ligne POLT.
« En venant de Paris, nous préférons descendre à Châteauroux et finir avec une voiture de location, commente-t-elle… Nous passons désormais les trois quarts du temps ici. Et je n’écris plus qu’ici. Même si je remonte une fois par mois, pour l’académie Goncourt et les médecins. »
D’ici, jusque dans la logistique : lorsqu’ils vont à la ville, les Creusois ne groupent-ils pas les rendez-vous ?
Et s’ils y restent quelque temps c’est pour mieux revenir au pays. Toujours. C’est-ce que faisaient les migrants maçons jadis. C’est ce que font aussi les nombreux petits-enfants de Françoise Chandernagor.
De brillants étudiants éparpillés en Europe, pour qui la propriété creusoise demeure un point de fixation durant les vacances. Ah, l’été creusois ! La boussole pointe là. Alors, L’Or des Rivières, c’est aussi et beaucoup pour la transmission ?
L’écrivaine acquiesce avec un air de secret révélé. Cette fois c’est la grand-mère qui montre à nouveau la cascade et son moulin : « À l’intérieur nous venons de tout faire transformer pour leur aménager des chambres… Mais ce n’était pas facile d’avoir les artisans ».
Floris Bressy
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