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Май
2024

Management : le manque de reconnaissance, un mal français ?

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Il y a "merci" et "merci". Comme "bonjour" et "bonjour". Le bonjour enjoué, souriant et enthousiaste, comme le merci chaleureux, spontané et franc. Le top en la matière est fredonné par la chanteuse Dido : "And I want to thank you/For giving me the best day of my life/Oh, just to be with you is having the best day of my life." Chacun rêve de se l’entendre dire. Dans le monde du travail, c’est le sourire du matin et le petit mot de gratitude que l’on apprend si tôt aux enfants et qui peut être dit, répété, redit : merci, juste parce que l’autre a tenu la porte. Il y en a tant d’autres en mode "je te remercie" : pour le dossier, pour le café, pour tes encouragements, d’avoir réparé l’ordinateur, d’avoir accepté que je parte une heure plus tôt, pour cette promotion, de m’aider, de m’écouter, pour ce contact… A l’inverse, le savoir gré grimaçant, menaçant et impératif, susurré du bout des lèvres ou parfois hurlé est souvent inscrit sur l’écran en capitale XXL ("MERCI d’arriver à l’heure") accolé à un accueil glacial. Pourquoi cette simple gratitude est-elle bien souvent inexistante ?

"On croit à tort que cette mise en cause de l’intérêt et de la noblesse du travail est récente. On se trompe fort. Le mot lui-même travail vient du latin tripalium qui signifie supplice et même un des pires supplices imaginables, réservé aux esclaves fugitifs crucifiés sur trois pieux. Rien n’est plus récent que la reconnaissance du travail", analyse François Bayrou, ex-ministre et haut-commissaire au plan dans l’introduction de la note "La grande transformation du travail : crise de la reconnaissance et du sens du travail" (12 octobre 2023).

Le meilleur exemple du salarié qui subit l’ingratitude est le manager : 26 % ont du mal à concilier les demandes de la hiérarchie et celles de leurs collègues et 23 % considèrent leur isolement (entre leur hiérarchie et leur équipe) comme une difficulté. En outre, dans les aspects de leur fonction qui apportent le plus de satisfaction aux managers viennent en tête les relations avec les collaborateurs (83 %), suivies de la reconnaissance de la part de l’équipe (79 %, Alan/Harris Interactive – "Baromètre bien-être mental", avril 2023). Dire merci à son manager ? Il apprécie.

De plus, en 2018, 51 % des salariés estimaient que leur travail n’était "pas reconnu à sa juste valeur" et 8 actifs sur 10 ne conseilleraient pas à un jeune de travailler toute sa vie dans la même entreprise (Baromètre "C’est mon boulot", Odoxa/Dentsu, avril 2018). En outre, seulement 7 % des salariés français (13 % des Européens) sont "engagés" – au sens d’impliqués – dans leur travail ("State of the global workplace", Gallup, 2023). Ce chiffre "ne reflète pas la paresse d’un peuple", affirme François Bayrou. Les Américains et les Canadiens ont un taux d’engagement de 31 % selon Gallup, avec des remerciements inscrits dans leur culture, qui nous agacent un peu. En France, "les questions de reconnaissance paraissent ne plus répondre aux aspirations légitimes de celles et de ceux qui s’engagent dans une carrière", insiste le haut-commissaire au plan.

Symétrie des attentions

"Ce n’est pas avec des mercis que l’on change une entreprise, dit-on souvent. Pourtant, les soignants ont été applaudis tous les soirs à 20h en 2020, lors de la pandémie. Il fallait qu’ils tiennent et on leur a exprimé notre gratitude", indique le docteur Philippe Rodet, (La Bienveillance, source d’espérance, Eyrolles, 2024). L’épisode Covid est un "catalyseur" qui a révélé d’autres aspirations, confirme François Bayrou. Comment remotiver ? En réfléchissant au mode managérial. Une piste : celle de la "symétrie des attentions", selon laquelle la qualité de la relation entre l’employeur et ses salariés influence celle qu’il entretient avec ses clients. Un "donnant-donnant" mis en lumière par Vineet Nayar, CEO d’HCL Technologies, créateur de la méthode Employees First, Customers Second (2010).

Pensée magique dans un monde de Bisounours ? Pour Benoît Meyronin et Charles Ditandy, adeptes de ce mode managérial ambitieux et rigoureux, il n’empêche pas de "recadrer un collaborateur et de se dire les choses quand il y a un souci" ("La symétrie des attentions, ambition ou utopie ?", L’Expansion Management Review, L’Express Roularta, 2014/3). Ces experts estiment que "la symétrie des attentions soulève la question, fondamentale, de la confiance. Confiance dans un management qui est lui-même porteur d’un changement comportemental". Le merci sera enfin spontané.