Les vautours s’aventurent de plus en plus en Auvergne : peuvent-ils s’attaquer à des animaux vivants ?
Depuis sa maison qui offre un excellent poste d’observation sur la vallée de Chaudefour et le versant sud du massif du Sancy, Christian Amblard, tient des comptes précis. « J’ai vu mon premier vautour fauve ici en 2015. Jusqu’en 2019, j’en ai vu moins de dix par an mais mon compteur s’est emballé à partir de 2020, avec plus d’une centaine et davantage encore en 2021 et 2022 », détaille ce chercheur auvergnat et naturaliste, placé à la tête du conseil scientifique des Réserves naturelles nationales du massif du Sancy (Chastreix et Chaudefour).
Si l’année 2023 a été marquée par un « trafic aérien » en baisse, Chritian Amblard fait le lien entre l’augmentation de ces visites et « celle des températures ». Pour que les vautours survolent l’Auvergne, il faut qu’ils soient portés par des courants chauds.Aujourd’hui, environ mille couples de vautours fauves nichent dans les gorges qui entaillent les Grands Causses.
Depuis leur réintroduction au début des années 1980, l’épicentre du repeuplement se trouve dans le Parc national des Cévennes. La Lozère et l’Ardèche accueillent également quelques couples de vautours moines, plus forestiers. Deux autres espèces de vautours, le percnoptère d’Égypte et le gypaète barbu, ont été réintroduites plus récemment dans le sud du Massif central. Leurs effectifs restent modestes mais ils jouent un rôle complémentaire de celui des autres oiseaux nécrophages. Les gypaètes sont ainsi surnommés les « casseurs d’os ».
De prudents équarrisseurs« En Auvergne, les vautours nous survolent et ils sont très hauts. On ne voit les voit que lorsqu’ils se posent », éclaire Franck Chastagnol, qui travaille pour la LPO (Ligue de protection des oiseaux) en Haute-Loire.
On s’en doute, ce n’est pas la beauté des clochers romans qui génère ces flux touristiques aériens. Pour Christian Amblard, c’est incontestablement la « présence de troupeaux d’estive » dans le Sancy. Plus anciennes, les incursions sur l’Aubrac aveyronnais ou dans la région de Saugues, dans le sud de la Haute-Loire, suscitent sporadiquement des crispations.
Comme le précise Franck Chastagnol, si la population de vautours est croissante, ce sont exclusivement les immatures qui s’aventurent au nord : « Ils se reproduisent à l’âge de 5 ans, ils ont le temps de se balader avant ».
Les jeunes vautours aiment explorer de nouvelles contrées. (Photo Thypaine Lyon/LPO)
Leur fréquentation régulière du massif du Mézenc a permis à la LPO de la Haute-Loire d’organiser des premières sorties d’observation du vautour dans ce secteur, l’été dernier. Un début de « valorisation » touristique de la présence de ces « voiliers extraordinaires », comme les qualifie Christian Amblard ?
Plus encore que le vol, la « curée » est impressionnante. Le 27 août 2020, le scientifique du Sancy a vu « cent vautours qui mangeaient une vache morte, sur la montagne de la Plate. Il y avait des vaches à côté qui continuaient à brouter sans être apeurées ». Cette précision est importante, car certains éleveurs dénoncent « dégâts collatéraux » d’un tel banquet : la simple présence du vautour, à l’instar de celle du loup, terroriserait le bétail. Le principal sujet de discorde entre naturalistes et représentants du monde agricole porte sur la nature « strictement » charognarde de l’animal.
« Quand ils ont faim, les vautours s’attaquent à des animaux d’élevage. Notamment, au moment du vêlage. Ils sont attirés par le sang et s’attaquent au veau en lui crevant les yeux, puis à la mère », soutient Nicolas Merle, président de la FDSEA de la Haute-Loire. Un scénario que réfute formellement la LPO.
« Seuls des corvidés peuvent le cas échéant crever des yeux, […] Les vautours n’arriveront qu’après les corbeaux et les milans. Ils sont d’une extrême prudence, car ils sont très patauds. Leur envergure les oblige à attendre un courant d’air chaud pour redécoller ».
En Lozère et en Ardèche, un partenariat avec des éleveurs s’est concrétisé par la création de « placettes », elles sont environ 130 à ce jour, où ils déposent leurs animaux morts. Comme le mettent en avant les naturalistes, les vautours assurent « un service gratuit d’équarrissage ». Cette forme de libre-service alimentaire a participé au succès de la réintroduction et soutenu la croissance de la population, convient Franck Chastagnol.
"Ils ne sont jamais le facteur déterminant de la mort de l'animal"Une étude réalisée par l’OFB (Office français de la biodiversité) sur les Grands Causses, publiée en 2017, n’exclut pas « les interactions entre les vautours et le bétail vivant » mais n’a recensé que « deux cas par an », à rapporter aux « 3.000 cadavres d’animaux déposés chaque année sur les charniers déclarés ». Cette étude de l’OFB exonère les vautours du soupçon de « prédation » : « ils ne sont jamais le facteur déterminant ayant causé la mort de l’animal ». Il peut arriver, selon la police de l’environnement, que les charognards fassent preuve d’un certain opportunisme avec un animal encore vivant mais celui-ci serait alors « déjà condamné » et agonisant.
Ces " voiliers extraordinaires se retrouvent assez patauds une fois au sol, ce qui explique leur extrème prudence ( Photo Thyphaine Lyon/LPO)Les agriculteurs ont exprimé cet hiver des récriminations à l’encontre de l’OFB. « Nous voudrions que l’action des vautours soit reconnue comme une attaque, revendique Nicolas Merle. Or, la plupart du temps les agents de l’OFB ne se déplacent pas ».
En bons « nettoyeurs », les vautours ne facilitent pas le travail des enquêteurs. En outre, contrairement à une attaque de loup authentifiée par l’OFB, une « curée » de vautours ne peut donner lieu à indemnisation. Christian Amblard comprend que les éleveurs auvergnats « qui n’ont pas l’habitude », puissent être choqués.
« Quand des voient cinquante vautours sur une vache. De bonne foi, ils peuvent penser que ce sont eux qui l’ont tuée ».
Les nourrir ou pas ?En 2022, lors d’un « comité vautour » organisé à l’échelle du Massif central, le préfet de la Lozère, coordonnateur, a proposé d’éclaircir, scientifiquement cette question : « Faut-il nourrir les vautours pour éviter des interactions avec les troupeaux ou faut-il éviter les placettes pour ne pas attirer les vautours ? ».Les chambres d’agriculture auvergnates (et celle de l’Aveyron) s’opposent à la création de placettes sur leur territoire. Face à l’indéniable expansion démographique du vautour fauve (au-delà des objectifs initiaux), les représentants majoritaires du monde agricole réclament une régulation.
« Il faut a minima pouvoir lui faire peur, le tirer pour l’effaroucher »
Côté LPO, on rétorque que le vautour est surtout victime des vieilles peurs qui ont conduit à son extermination dans le Massif central. « On est amené à vivre de nouveau avec lui », soutient Franck Chastagnol.
Si l’aire du vautour a pu remonter jusqu’à Brioude au XIXe siècle, réchauffement climatique ou pas, l’Auvergne n’est pas vouée à être colonisée, estime le représentant de la LPO : « Elle est trop aménagée, aseptisée. Il n’y a pas de grands réservoirs de faune sauvage. Et même sur les plus hauts massifs, l'Auvergne préfère miser sur les sports nature que sur la vie sauvage ».
Julien Rapegno