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Май
2024

Pourquoi les pharmaciens du Cantal pourraient faire grève le 30 mai ?

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« C’est la course à la boîte ! » Au cœur des officines du Cantal, la pénurie des médicaments pèse de plus en plus sur les pharmaciens. « La situation fatigue et irrite la profession », constate Élisabeth Alaux, présidente de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) du Cantal. « Une dame vient de venir avec une ordonnance pour de l’Augmentin. Elle venait d’une autre pharmacie qui n’en avait pas. Par miracle et par hasard, moi j’en avais. C’est comme ça tout le temps, décrit Élisabeth Folléas, titulaire à la pharmacie du Gravier, à Aurillac. Quand un patient arrive ici et n’a plus du tout de traitement de fond pour une maladie chronique, par exemple, nous nous débrouillons pour lui trouver une solution. Nous nous téléphonons entre pharmaciens, nous rappelons les médecins, puis le patient… Nous sommes constamment au téléphone. » Résultat, « un temps de dingue » passé pour un problème qui date de quelques années seulement.

« Nous perdons beaucoup de temps, y laissons de l’énergie. Cela nous rend moins disposés à prendre soin des patients », regrette Alexandre Gallois, à la tête de la seule pharmacie de Salers. « C’est rare que l’on puisse fournir tous les médicaments d’une ordonnance sans délai, ajoute Élisabeth Folléas. Nous fonctionnons à flux tendu. Cela fait deux ou trois ans que ça dure. « Le problème, c’est que c’est plus rentable pour les laboratoires de vendre leurs médicaments ailleurs qu’en France, considère Alexandre Gallois. Ils ont des quotas à fournir, bien sûr, mais ils se limitent au minimum. Ce qui a des répercussions sur notre activité. »

En plus d’avoir constamment des médicaments en tension, nous n’avons pas de visibilité sur ce qui va manquer, donc certains établissements ont une tendance à stocker

Sandrine Espinasse, titulaire à la pharmacie de Baradel, à Aurillac, surveille régulièrement les disponibilités pour être parmi les premiers à commander un médicament en tension. « Nous travaillons avec des grossistes, relais entre les laboratoires et nous. Leur plateforme indique en temps réel la disponibilité des produits. La situation est telle, que dans une journée normale, dès qu’on a cinq minutes, on questionne la base de données. »Le reste du temps, elle est auprès des clients ou au téléphone, à tenter de trouver des solutions. « Nous sommes ennuyés pour les patients. » Cette pharmacienne de quartier connaît ses patients, et tente dans la mesure du possible d’anticiper leurs besoins en traitements de fond.« Notre activité est liée à des prix de médicaments et à des honoraires qui sont fixés par l’État. Si les prix baissent, nos marges aussi. Nous aimerions que nos revenus soient décorrélés du prix des médicaments », explique Élisabeth Folléas, qui, pour survivre, a fait le choix d’une pharmacie plus grande. « La grève va dépendre des négociations, ajoute Sandrine Espinasse. On est là pour travailler, c’est normal, et nos nouvelles missions valorisent notre diplôme. C’est gratifiant. »En plus d’une revalorisation des honoraires des pharmaciens, ce que les syndicats demandent, c’est une reconnaissance au sens large.

Un rythme difficile à tenir pour les petites officines

« Nous avons été très sollicités pendant la crise du Covid. Nous étions en première ligne, estime la présidente de la FSPF 15, Élisabeth Alaux. Cela contribue à l’usure générale, certains ont quitté le métier. Lorsque nous sommes de garde, nous nous levons la nuit et nous sommes là le jour aussi, car en général, c’est le titulaire de la pharmacie qui assure la garde. Dans les petites pharmacies, comment est-ce tenable ? C’est un ensemble de choses qui font que la situation est ainsi aujourd’hui. »

Dans les zones de désert médical, les pharmacies sont parfois les seuls établissements liés à la santé. En plus de l’usure, les pharmaciens craignent une fermeture de ces petites officines. 

Il faut les aider, trouver des solutions pour leur permettre d’embaucher. Notre modèle de pharmacies français permet un maillage du territoire précieux. Le système permet une circulation de médicaments sécurisée. C’est un modèle à préserver.

Les raisons sont multifactorielles. « Comme dans toutes les spécialités inhérentes à la médecine, les jeunes pharmaciens préfèrent les grandes villes universitaires. » La profession subit par ailleurs les dommages impliqués par une mauvaise visibilité sur Parcoursup. De plus, « les jeunes n’ont plus envie de s’engager, ne veulent plus de contraintes, analyse Brigitte Lacoste, pharmacienne à Aurillac. Je fais le constat, non sans tristesse, que les petites pharmacies, même si elles sont saines financièrement, n’attirent pas les jeunes diplômés. »Si la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France appelle chaque pharmacien à se préparer à la grève, elle espère ne pas avoir à en arriver là, grâce aux négociations qui se joueront ce mardi 14 mai. De son côté, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo) appelle également à la suspension des gardes le week-end de Pentecôte, en plus de la grève du 30 mai, à cause des « menaces de dérégulation » des « difficultés économiques » et des « pénuries de médicaments ». 

Anna Modolo