[Article à lire dans le magazine têtu· du printemps] Au XVIIIe siècle, naître intersexe condamnait à une vie de discriminations, comme le démontre le réalisateur Jean-Claude Monod avec Un jour fille, son premier long-métrage.
"J’ai trouvé que c’était une histoire extraordinaire.” Après Augustine, un moyen-métrage centré sur une jeune fille traitée pour hystérie dans le Paris de 1875, le cinéaste Jean-Claude Monod s’intéresse pour son premier long, Un jour fille, à une figure queer malmenée par son époque, Anne Grandjean. Née en 1732 intersexe – c’est-à-dire avec des attributs à la fois masculins et féminins –, Anne grandit à Grenoble en tant que fille. À l’adolescence, quand son attirance pour les filles se fait évidente, elle est contrainte de “changer d’habit” pour vivre comme un homme.
Répondant désormais au prénom de Jean-Baptiste, elle tombe amoureuse d’une femme qu’elle épouse. Mais lorsque s’ébruite son identité “hermaphrodite” – c’est le terme alors employé pour désigner les personnes intersexuées –, le procureur du roi entame des poursuites à son encontre pour assurer le “maintien des mœurs”. Elle est en effet accusée d’avoir, en se faisant passer pour un homme, profané le sacrement du mariage. Un crime passible de la peine de mort.
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Fils de l’ethnologue Jean Monod, le réalisateur également philosophe nous montre Anne Grandjean comme un être blessé par les jugements mais qui ne se révolte pourtant jamais. “Je pense que c’était très difficile de se dresser et de se rebeller, explique-t-il. Elle est seule face à d’énormes institutions : l’Église, la Justice, la Médecine… C’est quelqu’un qui essaie de vivre en passant entre les gouttes, qui s’efforce de constamment s’adapter. Or, on vient la rattraper pour la jeter en pâture avec une véritable violence.” Pour son premier rôle au cinéma, l’actrice Marie Toscan interprète avec justesse les multiples émotions qui traversent son personnage, dépossédé de son corps et de sa liberté, devenu en même temps objet de fascination et de répulsion.
Œuvre de mémoire queer
Avec Un jour fille, Jean-Claude Monod accomplit un devoir de mémoire queer, rendant visible une figure et un sujet méconnus, sur lesquels il s’est renseigné autant en consultant des archives et les travaux du philosophe Michel Foucault, qu’en échangeant avec des associations de personnes intersexes. Mais il tient à ce que cette exploration ne tombe jamais dans le misérabilisme, préférant un message optimiste avec un écho contemporain. “Quand j’ai lu les éléments du procès, j’ai pensé aux débats autour du mariage pour tous, confie le cinéaste. Au fond, le procès ne tournait pas tout à fait autour de l’intersexuation d’Anne mais plutôt autour de deux femmes qui s’étaient mariées. Elle est surtout condamnée non pas pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle a fait. C’est aussi un film sur la violence homophobe, en fin de compte.”
Un jour fille, de Jean-Claude Monod. En salles le 8 mai.
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Crédit : kapfilms