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Май
2024

Gaza : l’Union étudiante, le syndicat proche des Insoumis qui fait passer l’Unef pour modérée

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"L’Union étudiante n’a de syndicat que le nom. Il s’agit en réalité de la projection de La France insoumise qui a organisé, orchestré et structuré cette scission de l’Unef." Jean-Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du Parti socialiste et président de l’Unef-ID entre 1980 et 1984, voit la main de Jean-Luc Mélenchon derrière le syndicat étudiant à la manœuvre des principales mobilisations pro-palestiniennes de ces dernières semaines dans les universités, notamment à Sciences Po.

Officiellement, il n’en est rien. "Il est totalement faux d’imaginer que quelque parti que ce soit dirait aux étudiants quoi faire. Les étudiants s’auto-organisent pour pouvoir lutter efficacement contre le génocide en cours à Gaza", assure par exemple Eléonore Schmitt, porte-parole de l’Union étudiante. Qui ajoute tout de même : "Mais tout soutien est bon à prendre dans le cadre de cette mobilisation qui est rude. Le fait que des parlementaires s’interposent entre les manifestants et les forces de l’ordre et aident à éviter les heurts est bienvenu."

Précisément, plusieurs figures insoumises ont clamé ces derniers jours leur soutien à la mobilisation. "Nanterre, la Sorbonne, Tolbiac, Clignancourt, Paris-Saclay, Lille : la mobilisation se propage partout en France pour le cessez-le-feu et l’arrêt du génocide. La jeunesse mobilisée est l’honneur de la France", déclarait par exemple le député LFI Louis Boyard sur son compte X (ex-Twitter) quelques heures après la fin du débat sur la question israélienne organisé ce 2 mai à Sciences Po Paris. Après la tenue du "town hall", réclamé par le Comité Action Palestine et accepté par la direction, une poignée de manifestants a de nouveau occupé l’école avant d’être délogée par la police dans la nuit.

Depuis le début du conflit dans l'établissement, le 24 avril dernier, les élus Insoumis défilent devant l’institution, notamment Eric Coquerel, le torse barré de son écharpe tricolore, murmurant à l’oreille de certains jeunes manifestants pro-palestiniens, ou encore Aymeric Caron. Derrière la lourde porte de l’institut de la rue Saint-Guillaume, certains n’en démordent pas. Pour Maxime Loth, responsable de la section du Printemps républicain à Sciences Po, "aujourd’hui, l’Union étudiante c’est LFI !" Tandis que pour Maxime Pontey, secrétaire général de Nova – officiellement "apolitique" mais que l’on dit proche du parti Renaissance – "il est évident que ses membres se sentent aujourd’hui galvanisés par le soutien de ces élus dont la présence attire les médias, ce qui contribue à souffler sur les braises".

"Putsch"

Pour bien comprendre les interactions entre le parti des Insoumis et les militants de l’Union étudiante, il faut remonter quelques années en arrière. En 2017, la bataille fait rage au sein de l’Unef où une partie des membres du bureau national, proches des Insoumis, sont soupçonnés de fomenter un "putsch". Ce que démentent les sept personnes en question, qui se diront victimes de "purge" après avoir été évincées du syndicat étudiant. En 2019, une deuxième vague de départs donne naissance à un nouveau mouvement, l’Alternative. Enfin, en avril 2023, une partie des sections locales de l’Unef (17 sur la soixantaine existante) rejoignent l’Alternative pour former l’organisation actuelle baptisée l’Union étudiante. Officiellement pour des questions d’organisation, l’Union étudiante défendant "un modèle fédéral, plus connecté au terrain".

Le fait que plusieurs de ses militants fassent campagne avec les Insoumis vient alimenter la thèse d’une organisation "satellite" de ceux-ci. Ainsi, lors des européennes de 2019, Naïm Shili, alors secrétaire général de l’Alternative, apparaît sur la liste conduite par Manon Aubry. Tandis que Marie Mesmeur, qui a participé à la création du syndicat Alternative ESR (enseignement supérieur recherche), est à son tour candidate LFI pour le scrutin du 9 juin prochain. La jeune femme en a été la secrétaire nationale pendant trois ans, avant que l’Alternative ne devienne l’Union étudiante. "Même si je n’y étais plus, j’ai continué à former des jeunes", explique-t-elle dans Ouest-France le 25 mars dernier. Enfin, Fabien Caillé et Gwénolé Bourrée, fondateurs de l’Union Pirate, composante locale de l’Union étudiante née à Rennes 2 qui a essaimé en quelques années dans la plupart des villes étudiantes bretonnes, sont aujourd’hui des collaborateurs parlementaires du député LFI Louis Boyard.

Ce dernier avait entamé sa "tournée des facs" dès 2022 et s’y était montré particulièrement présent au moment des débats sur la réforme des retraites. La forte adhésion des jeunes à Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière présidentielle – 31 % chez les 18-24 ans – explique l’attention des Insoumis pour cette tranche d’âge. L’Union étudiante apparaît comme une parfaite courroie de transmission entre cet électorat et La France insoumise. D’autant que le syndicat a su s’imposer en peu de temps. Aux dernières élections des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), qui se tenaient du 6 au 8 février, l’Union étudiante est arrivée en tête avec 30,4 % des voix et 64 élus. Dépassant ainsi la Fage, première depuis 2016 et qui, cette fois, n’a recueilli que 28,33 % des voix et perdu 8 sièges. Tandis que l’Unef (22,08 %) accusait un net recul.

A quelques semaines des élections européennes, LFI s’inscrit dans la lignée des organisations universitaires américaines en tentant d’importer le conflit israélo-palestinien dans les établissements supérieurs français. "Politiser une partie de la jeunesse étudiante sur des enjeux aussi clivants que celui de la Palestine fait partie d’une stratégie clairement assumée", explique Dorian Dreuil, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès. "Autant la polarisation idéologique est utile en démocratie car elle permet l’affrontement d’idées, de différences de points de vue et d’opinions, autant la polarisation affective met à mal la logique de dialogue et fait que l’autre est perçu comme un adversaire ou un ennemi", met en garde l’analyste.

"L’Unef n’existe quasiment plus ici"

Même s’ils s’en défendent, les méthodes de l’Union étudiante se rapprochent de celles des militants Insoumis. "Chauffés à blanc par LFI, les membres de l’Union étudiante manient la violence symbolique et confisquent le débat en entretenant une forme de harcèlement d’ambiance", dénonce Maxime Loth. "A Sciences Po, quelqu’un qui tente de se positionner de façon un peu nuancée sur le conflit israélo-palestinien subit des moqueries, des mises à l’écart, voire des menaces", poursuit-il. Mathys Dupuis, élu étudiant à la Sorbonne-Université, où des militants ont imité le blocus à Sciences Po et investi à leur tour la cour d’honneur le 29 avril dernier, pointe l’agressivité du collectif Susie, membre de l’Union étudiante. "J’ai fait l’objet de menaces et de pressions pour avoir dénoncé certaines dérives", dénonce-t-il, ajoutant que la plupart des anciens membres de l’Unef de la Sorbonne-Université ont rejoint le nouveau syndicat. "D’où son extrême discrétion. C’est bien simple, l’Unef n’existe quasiment plus ici", lâche-t-il.

Si les revendications du syndicat de gauche historique se rapprochent de celles de la nouvelle Union étudiante, certaines nuances apparaissent en filigrane. La secrétaire générale de l’Unef, Hania Hamidi, demande, tout comme l’Union étudiante, qu’une enquête soit menée et que, le cas échéant, "l’administration de Sciences Po coupe ses liens et ses partenariats avec les universités israéliennes" mais aussi que "la présidence prenne publiquement position sur l’arrêt de la guerre". L’Unef demandait aussi l’abandon de mesures disciplinaires à l’égard de certains étudiants de Sciences Po. Avec un bémol toutefois : "Nous considérons, en revanche, qu’il faut des sanctions pour tous ceux qui prônent des paroles et des actes antisémites si ceux-ci sont avérés." Selon France Universités, 67 actes antisémites ont été dénombrés dans les établissements depuis l’attaque terroriste du Hamas en Israël, contre 33 sur l’année universitaire 2022-2023.

Certains maniements de symboles ont d’ailleurs récemment suscité la polémique. Le 26 février dernier, une dizaine d’étudiants ont défilé devant l’école de la rue Saint-Guillaume en brandissant leurs mains recouvertes de peinture rouge. Plusieurs observateurs y ont vu une référence au lynchage de deux réservistes israéliens à Ramallah en 2000 où l’un des assaillants avait montré ses mains ensanglantées à la foule. Pour Eleonore Schmitt, la porte-parole de l’Union étudiante, il s’agissait de démontrer que "le gouvernement Macron a du sang sur les mains puisqu’il ne fait pas tout son possible pour stopper ce que nous qualifions de génocide". "Je ne connaissais pas la signification que certains lui prêtent puisque je suis née en 2000 et que je ne regardais pas la télé à ce moment-là", justifie-t-elle, ajoutant que ce symbole est "régulièrement repris dans les mobilisations pour la paix un peu partout dans le monde".