Et si nos forêts faisaient la pluie et le climat ? De passage en Creuse, la physicienne Katia Laval vous explique tout
On comprend désormais, et c’est le sujet de votre livre Les Pouvoirs de la forêt, qu'elle fait la pluie et le climat. Ce pouvoir incroyable des arbres, on l'oublie encore trop souvent ?
Nous menions des études sur les liens entre déforestations et hydrologie en utilisant des modèles climatiques déjà dans les années 1990 mais les publications qui touchaient le public étaient plus centrées sur les conséquences des émissions de dioxyde de carbone. Quand on a compris que l’on n’arriverait pas à abaisser nos émissions de CO2 à zéro sans des efforts majeurs, on s’est dit que les forêts pourraient nous aider à réduire la concentration de CO2 dans l'atmosphère. On s’est mis à étudier leurs effets sur l’absorption du CO2, et le stockage de carbone dans les écosystèmes forestiers, (le tronc, les branches, les racines et le sol).
@ Julie Ho Hoa
De là a surgi la question de l'influence des forêts sur les bilans d’eau qu’on a étudiée de façon beaucoup plus globale. Dans nos modélisations d’il y a trente ans, on déterminait simplement l'effet sur la pluie, et sur l’évaporation locales. On s’est mis à travailler de manière plus fine et, depuis une petite dizaine d’années, on a découvert un champ de recherche tout à fait intéressant, plus spécifique sur le lien entre les forêts et le cycle de l'eau. À cause du problème du gaz carbonique, et de la compréhension du climat, on découvre qu’on peut utiliser la nature, en favorisant le développement de certaines de ses fonctions.
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Comment font les forêts pour agir concrètement sur le climat ?
Les forêts ont beaucoup de liens avec le climat. D’abord, il y a un effet très simple qui commence à être connu, c’est qu’elles refroidissent le climat. On parle souvent de l’ombre des forêts mais en fait, ce refroidissement est essentiellement dû au fait que les forêts évaporent beaucoup d’eau. Ce changement d’état, de l’eau liquide qui est à l’intérieur de la plante à la vapeur d’eau qui s’évacue dans l’atmosphère, absorbe une partie de l’énergie du soleil, ce qui va refroidir le système. Les forêts évaporent beaucoup plus qu’une végétation courte comme les prairies ou les cultures parce qu’elles ont des racines profondes, capables d’aller capter l’eau sur une surface et une profondeur très grandes et un feuillage beaucoup plus étendu.@ Marion Boisjot
A-t-on une idée de l’échelle de ce refroidissement généré par les forêts ?
Les forêts occupent environ 30 % de la surface terrestre, ce sont des lieux où ce refroidissement, qui atténue un peu le réchauffement climatique est important. Je dis un peu mais je devrais dire beaucoup parce qu’on suppose que depuis l’ère industrielle, les forêts ont atténué le changement climatique de 1 °C, ce qui est énorme. Ce degré est dû à deux causes : d’une part au refroidissement lié à l’évaporation, et d’autre part, pour les deux tiers, au fait que les forêts des régions boréales et tempérées augmentent en volume et en surface depuis que le dioxyde de carbone augmente dans l’atmosphère. Elles contribuent à la séquestration du carbone, et, ainsi, à ralentir le changement climatique.@ Céline Niel
Elles nous offrent un effet climatiseur dont on ne pourra pas se passer à l’avenir ?
Oui, c’est pour ça qu’on est très inquiets quand on voit que les forêts dépérissent dans certaines régions parce qu’on sait que leur dégradation, en re-larguant le carbone, peut avoir un effet très significatif sur le changement climatique en l’amplifiant alors qu'a contrario, lorsqu'on augmente la surface et le volume de feuillage des forêts, on l'atténue.
Comment les préserver malgré l’exploitation qu’on en fait ?
Tout dépend toujours de la façon dont la chose est gérée. Quand elle est gérée d’une façon qui méprise totalement l’écologie, c’est toujours problématique.Globalement, il est certain que couper les arbres d'une forêt et en particulier faire des coupes rases est préjudiciable pour le climat mais aussi pour l’écologie, cela cela crée des problèmes de biodiversité puisqu’elles abritent une très grande variété d’espèces.
Ceci étant, il y a différents systèmes. Il y a des forêts naturelles qu’on laisse pousser, qui se régénèrent, qui se développent et qui sont en équilibre avec le climat. Je pense qu’il est important d’être respectueux de ces arbres et de les laisser grandir de la façon la plus vertueuse possible. Ces forêts permettent à l’homme d’avoir ce lieu de promenade, ce lieu de rêve, qui est très important pour leur bien-être et qui en même temps assure leur rôle de purification de l’air, de l’eau, etc.@Corentin Garault
Ensuite, il y a ces forêts de “production” pour le bois de nos industries, de la construction et du papier, de la construction. Pour ces forêts, il faut aussi avoir une gestion vertueuse, c’est-à-dire ne pas faire de rotations rapides, de coupes à blanc, au contraire, il faut laisser pousser ces forêts suffisamment longtemps, qu’elles aient le temps d’absorber du CO2. Et les utiliser ensuite de la meilleure manière possible, et ne pas renvoyer du CO2 rapidement dans l'atmosphère comme avec du chauffage au bois. La construction par exemple, peut conserver le CO2 que le bois a capté pendant des dizaines d’années voire des siècles.
Il faut aussi prendre en compte le sol forestier dont on a peut-être tendance à minimiser l’importance.
Vous avez tout à fait raison, le sol des forêts est précieux parce qu’il est particulièrement riche au niveau des champignons, des vers, de toute cette vie qui est dans les sols. Du fait aussi qu’il est particulièrement riche en carbone. Pour donner un ordre de grandeur, entre un tiers et deux tiers sont absorbés par le sol et le reste est stocké dans le tronc et les feuillages. C’est pour cela qu'il est très important, quand on coupe des arbres, de laisser les racines dans le sol, les branches et les feuillages sur le sol pour nourrir le sol et garder un sol riche en carbone.
@ Julie Ho Hoa
On évoque souvent ces grandes forêts tropicales mais on ne pense pas forcément que nos forêts locales jouent exactement le même rôle face au climat.
Il y a maintenant des études en cours sur les forêts tempérées et je m’attends à voir d’ici deux, trois ans, plein d’articles sur le sujet. C’est pour ça que dans ce livre, j’ai voulu décrire des études sur les forêts de Sologne et des Landes, montrer que sur ces régions, on a bien trouvé que la forêt humidifiait l’air beaucoup plus que dans les zones alentour qui étaient des prairies ou des cultures. Ce qui prouve que nos forêts ont le même rôle, c’est-à-dire d’humidifier l’air pour pouvoir créer des nuages, possiblement de la pluie et refroidir le système, en particulier pendant l’été qui est la période de sécheresse où l’on en a besoin.
@ Julie Ho Hoa
On entend de plus en plus parler de la nécessité d’une adaptation rapide des essences locales par d’autres mieux adaptées au changement climatique. Est-ce une bonne idée ?
Je crois que c’est une idée qui vient logiquement du fait qu’on voit des arbres dépérir dans certaines régions et qu’on se dit qu’on ne peut plus faire pousser tel ou tel arbre avec un climat qui change, mais la solution n’est pas très simple à définir.Il faut être un peu prudent car il y a quelques difficultés à définir précisément quel type d’arbres il faut planter parce qu'on ne maîtrise pas tous les paramètres qui interviennent. Ces nouvelles espèces peuvent mal se développer dans des régions où le climat, la pluie, la température, le cycle saisonnier n’est pas le même. Il n'y a pas de solution universelle. Un biologiste à qui j’ai posé la question m’a répondu que dans certains cas, il faudrait laisser les forêts évoluer de manière naturelle. On en est aux débuts des solutions, et les connaissances régionales avancent petit à petit.
Les arbres sont donc loin d’être des êtres immobiles et passifs...
Tout à fait. Il y a un point qui commence à être étudié, c’est par exemple le fait qu’une surface importante, je parle de 500 km² de forêt, peut changer la circulation des vents. Et si vous changez les vents, vous pouvez changer beaucoup de choses par rapport au climat…
Conférence. « Les pouvoirs de la forêt, de l’eau et des arbres », mercredi 8 mai à 18 h 15 avec Katia Laval, auteur des Pouvoirs de la forêt aux éditions Odile Jacob, au cinéma Le Colbert à Aubusson. L’auteure sera présente en dédicaces à La Licorne jeudi 9 mai de 10 h 30 à 12 heures.
Propos recueillis par Julie Ho Hoajulie.hohoa@centrefrance.comPhotos : Marion Boisjot, Céline Niel, Corentin Garault, Julie Ho Hoa