Sarah Knafo: «Le RN est le parti des sondages»
La stratège et compagne d’Éric Zemmour entre en scène. Candidate à l’élection européenne, en troisième place sur la liste conduite par Marion Maréchal, cette patriote passée par l’ENA connaît ses dossiers. Immigration, islam, économie, elle est convaincue que les graves problèmes du pays appellent des solutions simples. Sur son rôle, souvent contesté, comme sur les frères ennemis, elle parle sans détour. Et refuse la fatalité.
Causeur. Vous êtes numéro trois sur la liste de Reconquête aux européennes. Jusqu’à maintenant, on vous connaissait comme une femme de l’ombre. Qui êtes-vous vraiment ?
Sarah Knafo. C’est vrai, c’est l’une de mes premières prises de parole publique. Je n’étais pas programmée pour en arriver là. Je suis née et j’ai grandi en Seine-Saint-Denis, dans une famille de commerçants. Grâce aux livres, à la culture, et osons le dire, grâce à la France, j’ai fait mes études à Sciences-Po, puis à l’ENA. Par passion pour la France, j’ai choisi le service de l’État et je suis entrée à la Cour des comptes. C’est la même passion pour la France qui m’a conduit à organiser à ses côtés la candidature d’Éric à la présidentielle et je suis heureuse aujourd’hui de rejoindre la liste Reconquête portée par Marion Maréchal pour les élections européennes du 9 juin prochain.
Qu’est-ce qui vous a décidé à entrer dans l’arène après avoir refusé de prendre la parole en 2022 ?
J’avais 26 ans, j’organisais une campagne présidentielle et je me disais : chacun doit rester à sa place. J’étais là pour réfléchir, coordonner, planifier. Éric était le candidat et l’élection présidentielle, ce n’est ni l’élection d’une équipe, encore moins celle d’un couple. Aujourd’hui, c’est l’élection européenne : l’élection d’une équipe. Marion Maréchal est notre tête de liste et elle n’est pas seule : nous sommes 80 à pousser derrière. Éric et Marion savent qu’ils peuvent compter sur moi.
Éric Zemmour a révélé sur BFM que vous étiez sa compagne. Êtes-vous devenue la directrice de campagne d’Éric Zemmour parce que vous étiez sa compagne, ou le contraire ?
Oui, nous vivons ensemble et tout se passe pour le mieux. Mais à moins que je me trouve chez Closer et pas chez Causeur, je ne crois pas que les détails de notre vie aient leur place dans vos colonnes. Je ne me présente pas pour raconter ma vie, mais pour parler de l’élection européenne. Ne confondons pas la campagne et la compagne !
Le mélange de la vie privée et de la vie professionnelle n’est-il pas compliqué ?
Je vous arrête : on ne parle pas d’un « job », on parle du combat d’une vie. Pour nous, la politique n’est pas un métier. Je ne cesse pas d’être une patriote après 18 heures et les jours fériés. Il est donc logique que je mène ce combat avec Éric, et je crois même que notre duo nous donne une force inouïe. À nous d’être assez solides pour protéger notre vie privée, refuser le huis clos, ne jamais se censurer si on pense que l’autre se trompe. L’omerta, ce n’est pas vraiment le genre de la maison !
Vous avez été à la une de Paris Match et de la presse people. Certaines rumeurs prétendaient que c’était arrangé avec Mimi Marchand.
Je ne la connais même pas. Mes relations avec la presse people sont fondamentalement judiciaires. Je suis en procès contre à peu près tous les journaux à scandale et j’espère bien qu’ils seront condamnés pour l’enfer qu’ils nous ont fait vivre. C’est la double peine, quand on a vécu avec les paparazzis en bas de chez soi tous les jours, de s’entendre dire que c’était arrangé. C’est d’autant plus inacceptable que nous n’avons jamais fait de notre vie un argument politique, comme tant d’autres. Je ne connais aucun autre politique qui ait dû subir cela. Avez-vous vu la une d’un magazine sur Mélenchon et sa conseillère ? Non.
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Qu’avez-vous appris à l’ENA ?
Je ne fais pas partie de ces énarques qui, comme Macron, crachent sur l’ENA après avoir travaillé d’arrache-pied pour y entrer. J’ai décidé de prendre cette voie pour servir l’État et j’y ai appris énormément de choses, à rédiger des lois, à comprendre le fonctionnement de la machine de l’État, de son budget. J’ai rencontré beaucoup de monde, à l’ENA, en ambassade, en préfecture, puis à la Cour des comptes. Des hauts fonctionnaires admirables, qui ne comptent pas leurs heures contrairement à la caricature qu’on fait d’eux. Mais pas d’angélisme ! La détestation dans laquelle tant de Français tiennent les énarques n’est pas absurde. À côté de ces serviteurs de l’État intègres, j’ai découvert une autre catégorie de fonctionnaires : les technocrates. Vous savez, ceux dont toutes les phrases commencent par « c’est plus compliqué que ça ». Je ne fais pas partie de ces gens-là. Je pense que la France vit des problèmes graves, mais que les solutions sont simples.
Justement, tous les anciens présidents expliquent qu’ils ont le plus grand mal à faire appliquer leurs décisions… Ces technocrates-là ont-ils le pouvoir en France ?
Absolument. Quand on ne les connaît pas, il est impossible de les affronter. Moi, je les connais par cœur.
Vous avez fait un stage à l’ambassade de France en Libye quand vous étiez à l’ENA ?
Absolument. On était en 2018, en pleine crise des migrants avec la Libye comme principal pays de transit des Subsahariens vers l’Europe. J’ai vu de mes yeux comment fonctionnent les filières de passeurs. J’ai aussi travaillé à la préfecture des Pyrénées-Atlantiques, avec les agriculteurs et les industriels. La préfectorale a beaucoup compté dans mon parcours : mon expérience à la préfecture de Seine-Saint-Denis quelques années avant fut un véritable électrochoc, et sans doute un des moteurs pour m’engager au service de l’État.
Est-il vrai que votre vocation politique est née d’un drame familial, l’agression d’un proche ?
Quand j’avais 5 ans, j’ai vécu un événement très douloureux, dont je ne parlerai pas en public. J’ai vu, très jeune, trop jeune, la violence gratuite, comment elle abîme des vies pour toujours. J’ai vu l’impunité. Cela m’a donné un sentiment d’urgence, un besoin de protéger les gens, la conviction que nous avons le droit de vivre dans un pays en paix. Je ne parle pas de droite ou de gauche, mais d’aspirations normales de gens normaux : ne pas avoir peur pour sa fille quand elle sort ou pour sa mère quand elle prend les transports en commun, que ses enfants aillent à l’école pour y apprendre quelque chose, que les professeurs aillent enseigner sans avoir une boule au ventre, que dans les campagnes des gens ne soient pas obligés de s’arracher des dents eux-mêmes parce qu’il n’y a plus de dentiste.
Avez-vous toujours été de droite ?
Mon premier engagement politique est souverainiste. En 2015, avec quelques camarades, nous avons fait vivre la première association souverainiste de l’histoire de Sciences-Po, Critique de la raison européenne. Nous comptions parmi nous des gens de gauche. Ils sont depuis partis chez LFI et ont effacé toute trace de notre passé commun.
Qu’est-ce qui a changé la donne en 2015-2016 ? Les attentats ?
Oui. C’est à ce moment que des tensions sont apparues au sein de Critique de la raison européenne. On a commencé à se poser la question : la souveraineté, nous sommes d’accord, mais pour quoi faire ? Et là, la gauche et la droite avaient des réponses incompatibles.
Sur la question européenne, vous aussi avez bougé. Chez Reconquête on se sent européen ?
Le général de Gaulle disait : « Je suis français, donc européen. » Oui, nous voulons une Europe qui reste européenne, et une France qui reste française. Impossible pour moi en revanche de devenir européiste. Nous sommes plus que jamais opposés à Ursula von der Leyen. Reste que nous avons compris que nous étions sur le même bateau que les autres peuples européens, qui courent les mêmes dangers que nous. Nous avons passé des décennies à critiquer l’Allemagne, et à raison quand elle nous empêchait de défendre le nucléaire et prenait la direction de l’Union contre nos intérêts, mais je ne veux pas vivre pour autant dans un monde où Berlin devient une ville turque, et Bruxelles, le Maghreb sans le soleil.
Revenons sur la campagne présidentielle. Avez-vous commis des erreurs ?
Des centaines ! Pour Éric, comme pour moi, et pour la plupart des gens qui nous ont suivis, c’était une première fois en politique. On connaît nos erreurs, je connais les miennes, et on s’est juré de faire mieux. Mais je suis très fière de ce que nous avons accompli. Nous avons largement contribué, et nous continuons, à imposer la vérité dans le débat public. Aucun autre parti n’en a fait autant en deux ans. Je pense que le souvenir de Villepinte et du Trocadéro restera gravé chez beaucoup de monde : nous avons allumé une flamme dans le cœur de milliers de Français.
D’aimables commentateurs anonymes n’ont cessé de dire que vous étiez autoritaire, que vous vous occupiez de tout, etc.
C’est normal, quand on dirige une campagne présidentielle, ce n’est pas une AG de Tolbiac ! Et vous le savez, chez Reconquête, nous assumons l’autorité, nous sommes assez peu soixante-huitards… Avoir des responsabilités implique forcément de prêter le flanc à la critique, d’autant plus quand les choses ne se passent pas comme espéré. Je ne me défausse jamais sur quiconque et je reste le plus possible à l’écoute. Maintenant, ceux qui nous lisent pourront se faire leur avis sur ce qu’ils voient de moi et pas sur ce qu’ils entendent sur moi.
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N’avez-vous pas effrayé les musulmans qui aiment l’ordre et se sentent passionnément français ? Beaucoup étaient d’accord avec Zemmour, mais ont été effrayés par son combat sur les prénoms, par exemple.
Permettez-moi de vous reprendre. Les musulmans ont voté à 69 % pour Mélenchon en 2022. 69 % pour un seul candidat, dans une élection qui en comportait 12. Pourtant, les 11 autres n’avaient pas tous « effrayé les musulmans avec les prénoms », comme vous dites. La plupart des musulmans n’ont pas voté pour l’ordre et pour l’amour de la France, ils ont voté pour celui qui a défendu leur droit à imposer leurs coutumes sans entrave. Il reste que je suis de culture judéo-chrétienne, alors je crois à l’émancipation individuelle. Notre position est très simple : ce n’est plus à la France de faire des accommodements raisonnables avec l’islam, mais aux musulmans de faire des accommodements raisonnables avec la France. Beaucoup d’immigrés l’ont fait avant eux, à commencer par ma famille de juifs d’Afrique du Nord, mais aussi les Espagnols, les Polonais, les Arméniens, les Libanais. Pourquoi les musulmans en seraient incapables ? Chez Reconquête, nous ne les prenons pas pour des victimes, mais pour des adultes. Si vous dites qu’ils se sentent « passionnément français », ils entendront notre discours.
Avez-vous avec Zemmour des débats, notamment sur Pétain ?
Je ne connais pas deux personnes d’accord sur tout ! En revanche, nos désaccords resteront privés, parce que je ne désespère pas de le convaincre !
On l’a vu devenir plus sensible au destin d’Israël depuis le 7 octobre.
Je vais vous répondre par les mots de Gilles Kepel : « Le 7 octobre est encore plus important que le 11-Septembre. » Beaucoup ont pris conscience de la guerre de civilisation en cours, qui se déroule non seulement en Orient, mais aussi dans nos rues. À Turin, à Londres, à Paris, à Bruxelles, des milliers de personnes ont défilé avec des drapeaux palestiniens. C’est un électrochoc pour toute l’Europe.
Les manifestations propalestiniennes en France étaient parfois inquiétantes, mais il n’y avait pas de cris antijuifs comme à Sydney ou à Londres.
En France, il y a eu un effet cathartique avec la personne de Mélenchon. Ils n’ont pas besoin de crier dans la rue. Ils ont leur représentant à la télévision.
Certains de vos sympathisants ont-ils été déçus par votre ligne pro-israélienne ?
Non. Chez nos sympathisants, il y a une clairvoyance sur cette question. Ils ont vu les masques tomber, en particulier à gauche. Ils savent combien nous avons raison de parler de choc de civilisations.
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Il n’est pas sûr que, dans les bistrots, on parle de choc de civilisations. Vous voulez parler aux classes populaires, mais n’êtes-vous pas trop dans les concepts ?
Pas d’anti-intellectualisme, ça ne vous ressemble pas ! Je regarde le réel et je nomme ce que je vois. Je ne suis pas une idéologue. J’ai grandi en Seine-Saint-Denis, mes parents y vivent toujours : j’ai vu le changement à l’échelle de ma vie. Ce n’est pas une théorie. Je parle de faits qui se mesurent, qui se chiffrent et qui se voient.
Il y a eu du tirage politique entre Marion Maréchal et Éric Zemmour – et peut-être vous aussi…
Je vais vous dévoiler un scoop : je suis une marioniste ! Depuis que j’ai vu Marion Maréchal entrer très jeune à l’Assemblée nationale. Elle fait partie de mes premiers souvenirs politiques. J’étais en terminale, je l’ai vue lutter avec panache contre le mariage pour tous, et je l’ai vue quitter sa tante avec courage, puis nous rejoindre. C’est un geste qu’on ne doit pas minimiser.
Certes, mais on lui prête partout l’intention de vouloir repartir au RN…
Je n’y crois pas du tout. Elle a quitté sa tante pour ses convictions. Elle n’est pas femme à trahir ses convictions.
Quelle est la différence entre Reconquête et le RN aujourd’hui ?
Vous avez d’un côté le parti de la vérité, Reconquête. Et de l’autre, le RN, le parti des sondages. Voilà qui nous laisse un espace énorme ! Ils veulent plaire aux sondeurs et aux médias. On prend le chemin, plus difficile et sans doute un peu plus courageux, de convaincre les gens. En 2012, Marine Le Pen était pour la fin du nucléaire, parce qu’un sondage disait que les Français avaient peur du nucléaire après Fukushima. Maintenant, elle est pour, parce que les Français ont changé d’avis. Même chose pour le port du voile islamique. En 2004, elle était contre son interdiction à l’école. Je pourrais continuer comme ça longtemps. Je citerais Condorcet : « Les gens ne votent pas pour moi pour que je dise ce qu’ils pensent, mais pour dire ce que je pense. » Si vous voulez, il y a des gens qui sont très haut dans les sondages, d’autres qui sont très haut dans le courage. Là encore, choisissez en fonction de votre caractère !
La suite demain.
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