Heureux clan familial, dès le biberon : l’histoire de la famille Goberville
Les sœurs, le père, la mère, la demi-sœur, la belle-mère… ils ont tous chopé le virus du tir sportif. On a cherché à savoir comment les membres de cette communauté familiale bien particulière ont développé cette « bosse du tir ». En espérant que vous aurez autant de frissons et d’humidité dans les yeux que nous à les lire.
Propos recueillis par Léa Borie, Extrait de Women Sports magazine n°32 avril-mai-juin 2024 spécial Paris 2024 dernière ligne droite
Nous avons organisé les entrevues en visio à distance, entre deux compétitions. Dans le coin de chaque caméra, on a vu passer un matou, et leur maître leur faire une caresse. C’est loin d’être le seul point commun de cette famille recomposée de grands passionnés… Daniel Goberville et son ex-femme étaient mordu de tir, et ont correctement transmis ça à leurs filles Sandrine et Céline. Marié désormais à Aurore (dont la fille Annabelle Pioch est en championnat de France comme Céline Goberville), Daniel a une structure d’entraînement. Il entraîne ses filles depuis des années. L’opération récente du cœur de Céline lui a certainement coûté sa place pour ces Jeux mais elle n’a rien à regretter. À ses côtés, sa sœur, contrainte d’arrêter en pro en 2022, peut se concentrer sur sa formation de médiation animale, sans pour autant jamais abandonner le tir.
Women Sports : À quel âge avez-vous commencé à faire passer le tir dans vos veines ?
Daniel : J’ai 14 ans, nous sommes en 1970, un copain d’école me proposer d’essayer le tir, le stand est à 300 m de chez moi. Quatre ans plus tard, je rentrais en équipe de France.
Sandrine : Ma sueur et moi fréquentons les pas de tir depuis qu’on est né. J’y étais dans le ventre de ma maman. À 3 mois, je côtoyais ce milieu dans mon landau. À 6 ans, j’avais déjà les points pour me qualifier pour aller en Championnat de France à la carabine !
Céline : Pour moi ça a été plus compliqué. Je finissais les entraînements en pleurs. À 9 ans, je suis passée derrière à observer. Comme maman était pistolière, j’ai changé de camp, on a trouvé ça plus simple avec Sandrine.
C’était ça le quotidien à la Goberville : le tir ?
Daniel : C’est notre vie. Mon frère, sa femme, leur fille en étaient aussi. Mon ex-femme et moi changions les couches des filles sur les stands de tir ! Mais je leur ai toujours dit : c’est un investissement, non un sacrifice. Quoi qu’elles fassent, le tir restera un support de valeurs.
Céline : Pour prendre une décision, le tir a toujours eu ma priorité.
Comment avez-vous vécu l’entraînement en famille ?
Sandrine : Ma sœur et moi, on est toujours contentes l’une pour l’autre sans rivalité, à s’encourager mutuellement. Je ne crois pas que ce soit inné chez nous. J’estime surtout avoir été bien conseillée dès le début, pour adopter les bons comportements, physique et mental.
Céline : Me faire entraîner par mon père s’est fait naturellement. C’est un avantage : j’ai une confiance aveugle dans ce qu’il me dit. Je ne suis pas toujours d’accord mais j’ai suffisamment confiance pour mettre mon cerveau sur off et suivre ce qu’il me dit. Il me connaît par coeur, il sait me lire. Quand on perd en lucidité sous l’émotion, les paroles d’un coach qui vous connaît sont assez percutantes pour changer d’attitude.
Y a-t-il des limites à s’entraîner en famille ?
Aurore : C’est par ma passion du tir que j’ai rencontré mon mari Daniel. Je me suis formée aux neurosciences et à l’hypnose, cruciale dans la préparation mentale pour accompagner Sandrine et Céline, mes belles-filles. J’accompagne ma fille Anabelle sur le plan de ses objectifs, de ses mécanismes d’attention, mais pour l’accompagnement purement thérapeutique, je l’ai adressé à une collègue afin qu’elle se sente plus libre de s’exprimer.
Et quand les choses changent, comment s’adapter ?
Céline : Lorsque ma sœur a dû stopper net sa carrière, ça a été un choc. On l’a accompagnée au mieux. Et plutôt que d’arrêter, j’ai poursuivi, pour elle. Elle a eu la motivation et la gentillesse de continuer de s’entraîner avec moi, malgré tout, deux fois par semaine. Ça a été dur au début, d’être seule en compétition là où nous étions un duo. J’ai dû changer ma manière d’être au sein du groupe.
Sandrine : Je m’identifiais en tant que tireuse Goberville de haut niveau. Sans le soutien de ma famille, je serais partie en dépression. J’ai continué de m’entraîner avec Céline, pour que mon départ ne l’affecte pas, et parce que j’avais encore des choses à aller chercher. Aujourd’hui, Céline a eu du mal à prendre son ticket pour les Jeux de Paris, c’est frustrant mais elle a un mental d’acier et rebondit vite. Les Goberville, on ne se cherche pas d’excuse. Là c’est la maladie, il faut l’accepter pour enchaîner le plus vite possible. C’est aussi ça notre force, cette résilience pour chercher des solutions.
Vous aviez prévu de tracer votre route en fonction du tir ?
Céline : Je ne me suis jamais dit que je voulais avoir la vie de mes parents, faire du haut niveau et grimper. C’est venu naturellement. Avec ce cadre familial-là, des parents qui savaient comment ça fonctionnait, ça a été très rapide de monter. J’ai pu être détectée rapidement grâce à mon père qui a insisté. Mais mon ambition s’est construite seule, même « tardivement », j’avais 9 ans ; ma sœur, ça s’est fait à 6 !
Ça ne vous a jamais fait peur ?
Daniel : C’est un sport très formateur pour la personnalité, en termes de gestion des émotions, pour les études, le travail. Pour nous, ce ne sont pas des armes mais des outils d’expression au service de la personne à la recherche de gestion de la performance. Mettre mes filles très tôt au tir, c’était leur permettre d’acquérir des compétences pour mieux gérer leur vie. Je n’avais aucune ambition qu’elles arrivent en équipe de France, j’étais plus animé par la passion.
C’est le tir qui les a choisis ?
Daniel : Elles avaient des compétences immédiates pour cette discipline. Elles n’avaient pas d’aptitudes physiques comme on peut en attendre de la natation ou de la course mais un mental, de la concentration, de la réflexion. Cela correspondait à leur profil. Rester concentrer lorsqu’on fait 70 fois la même chose, ça s’apprend mais tous les enfants n’y arrivent pas. Les filles ont été remarquables dès le début dans leur gestion de leurs émotions, à être capables de ne pas paniquer. Il y avait des pleurs, mais avec cette capacité d’affronter les choses sans les éviter.
Est-ce cette passion familiale qui fait réussir ?
Céline : Le fait de s’entraîner ensemble est motivant. Moi qui ne suis pas une grande fan de l’entraînement, ça le rend plus vivant. C’est ce qui fait que je ne lâche rien, avec toujours l’envie d’avancer.
Sandrine : On a cette sensation d’appartenir à un clan. On nous a souvent définis comme tels. Ça a pu nous porter préjudice car on est tellement soudés qu’on peut paraître détaché du groupe mais ce n’est pas le cas. C’est inestimable de sentir cette force, ce soutien partout dans le monde, de vivre de notre passion commune de manière si particulière.