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Февраль
2024

Comment Dominique Venner, éminence grise de l'extrême droite, a inspiré la stratégie de dédiabolisation du RN

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L’Assiégé (JC Lattès) est un livre politique qui se lit comme un roman d’aventures. Entre barbouzeries, coups tordus et radicalité idéologique, Renaud Dély, éditorialiste à France Info, dresse le portrait flamboyant de l’éminence grise de l’extrême droite française, dont le parcours et la stratégie de conquête ressemblent étrangement à l’entreprise de dédiabolisation d’un Rassemblement national désormais aux portes du pouvoir.Dans un geste fou mais longuement réfléchi, en forme de testament politique, Dominique Venner – c’est son nom – s’est donné la mort d’une balle dans la tête, à 78 ans, devant l’autel de Notre-Dame de Paris le 21 mai 2013 pour réveiller les consciences face à une supposée submersion migratoire. Un acte définitif à la mesure du personnage.

"Le déclic, c'est son suicide"

"J’ai découvert l’influence et les écrits de Dominique Venner il y a une trentaine d’années à mes débuts à Libération en suivant l’extrême droite, débute Renaud Dély. La deuxième étape, le déclic qui a amené ce livre, c’est son suicide. J’ai trouvé ce geste intrigant et je me suis plus intéressé au personnage, à ses combats, à son itinéraire et aux motivations de son acte. Troisième point, qui a fini de me décider, le contexte actuel de montée des tensions identitaires en Europe liées à l’immigration qui génère une poussée de l’extrême droite avec l’angoisse du métissage et le concept complotiste de grand remplacement. Tout ça, c’est exactement le logiciel idéologique de Dominique Venner."

"Un appétit pour l'aventure virile"

Issu d’une famille bourgeoise parisienne, collaborationniste par idéologie et non par opportunisme, Dominique Venner est très tôt conditionné par son milieu. 'Sans se livrer à de la psychanalyse de bas étage, c’est vrai que les images qu’il a eues pendant son enfance ont contribué certainement à le former. Sa grand-mère, par exemple, admirait l’élégance et la tenue des officiers nazis pendant l’Occupation. Eh bien, il lui rend hommage au fil de ses carnets. Il y a aussi les rapports avec son père, membre du Parti populaire français de Jacques Doriot. Il baignait dans cet univers. Et puis, il a aussi un appétit pour l’aventure virile, guerrière, belliqueuse, violente qui l’amène, alors qu’il n’est pas encore majeur, à s’engager dans l’armée et à, très vite ensuite, rejoindre l’Algérie", raconte Renaud Dély.

"L'Algérie, expérience fondatrice"

"L’Algérie sera pour lui une expérience fondatrice à plus d’un titre, poursuit-il. D’abord, il a une soif d’actions, de combats mais il se plaint d’attendre. Ensuite, il est frustré par la mollesse des officiers qu’il trouve trop serviles et passifs face aux enjeux. Troisièmement, cette frustration l’amène à outrepasser les ordres et à en faire toujours plus. Et enfin, cette violence s’explique aussi par le fait que pour lui, l’Algérie, ce n’était pas seulement la défense de l’empire colonial mais la défense d’une frontière européenne face à la menace d’invasion de populations africaines. L’Algérie, c’était déjà la défense de l’identité européenne. L’ensemble de la population, pas seulement les rebelles du FLN, était vu comme une menace pour cette identité."

"Une succession d'échecs"

L’aventure algérienne se terminera avant les Accords d’Évian par son départ de l’armée. "Il faut bien comprendre ça. Tout son parcours est une succession d’échecs, du fait de cette radicalité qu’il veut mettre en avant, insiste le co-présentateur de 28 minutes sur Arte. Il y a la perte de l’Algérie, le basculement vers l’action terroriste avec des attentats ratés qui se soldent par plusieurs séjours en prison. Au niveau politique, il crée plusieurs groupuscules, dont le plus important Europe action, qui vont se solder en échecs, y compris électoraux, avec les législatives de 1967. Mais ces échecs participent d’une vision du monde assez commune aux franges les plus radicales de l’extrême droite. C’est le culte de la défaite et le sentiment d’être dans le camp des vaincus, à qui il rendra hommage dans de nombreux livres. C’est vrai pour la Collaboration, les guerres coloniales et l’action politique."Renaud Dély explique comment Dominique Venner a été un précurseur en utilisant "l'art de la dissimulation au service de la dédiabolisation".

"L'art de la dissimulation"

Ces multiples échecs, au-delà de le pousser à une carrière d’écrivain plus grand public, autour de thèmes comme la chasse et les armes, ont amené Dominique Venner à revoir son logiciel politique. "Sans rien renier de ses convictions, de ses obsessions identitaires et de ses combats, il a changé de stratégie dès lors qu’il a constaté que la violence et les actions illégales étaient condamnées à l’échec, à la défaite et même à la prison. Il a essayé d’emprunter des voies légales et ensuite de mener une bataille sur la forme, y compris d’ailleurs sur le champ lexical, en changeant de mots, pour essayer de séduire plus largement. C’est l’art de la dissimulation au service de la dédiabolisation, dont il est l’un des précurseurs. C’est une tactique politique efficace mais la meilleure preuve qu’il n’a jamais renoncé à la radicalité, c’est son suicide pour protester, je cite, contre “le crime du remplacement des populations européennes” ", souligne Renaud Dély.

"La ligne est identique"

Si Marine Le Pen, après s’être fendue d’un hommage plein de respect sur Twitter, avait renoncé à venir à ses obsèques, l’influence de Dominique Venner au sein du Rassemblement national est bien vivante. "Aujourd’hui, au RN, on va vous dire Dominique Venner, c’est lointain, c’est le passé. Alors qu’au contraire, son parcours, ses convictions, sa stratégie éclairent la progression actuelle du RN, à travers la dissimulation et l’obsession identitaire. Mais pour des raisons électorales, à cause du passé sulfureux de Dominique Venner, de son côté infréquentable, il se garde bien de se revendiquer de cette filiation-là. La ligne est pourtant identique."

"Salut fasciste à Rome"

"Le RN a choisi une stratégie parfaitement légaliste, affiche un vocabulaire tout à fait apaisant et inoffensif en apparence, enchaîne l’auteur de L’Assiégé. Mais cela ne change rien au projet fondamental. Quand le RN agite ses fantasmes de submersion migratoire, de disparition de la civilisation occidentale, il participe d’une même vision du monde. Le rejet de l’altérité, du métissage.

Si, demain, Marine Le Pen et le RN arrivent au pouvoir par une voie légale et pacifique, je n’ai aucun doute sur le fait que les franges les plus radicales de l’extrême droite se rangeront derrière le nouveau pouvoir de la manière la plus violente et brutale qui soit. C’est ce que l’on a observé en Italie avec Giorgia Meloni. Cela a libéré un certain nombre d’esprits. Et on a vu il y a quelques jours des centaines de militants faire le salut fasciste sur une place de Rome", s’inquiète Renaud Dély.

Dominique Diogon

Photos Pascal Guyot / AFP et Olivier Roller