"C'est dur, mais je n'avais pas le choix" : chez les agriculteurs, l'essor des cagnottes solidaires

7 400. C’est le nombre de cagnottes en ligne Leetchi, une entreprise spécialisée dans le domaine, qui ont été créées en 2024 en soutien aux agriculteurs. Un chiffre qui fait de cette profession la plus soutenue de France. Cet élan peut s’expliquer par le coup de projecteur dont la profession a bénéficié l’année dernière, au moment de la contestation agricole. Si cette année, le Salon de l’agriculture - qui se tient à Paris jusqu'au 2 mars - s’est ouvert de manière apaisée, c'était loin d'être le cas l'an dernier.

L’édition 2024, qui avait accueilli plus de 600 000 visiteurs, avait été marquée par un contexte politique mouvementé. Les agriculteurs en colère face à l’accumulation des normes administratives, à la hausse des charges, et au projet d'accord de libre-échange avec le Mercosur, avaient lancé le mouvement "On marche sur la tête". Ces manifestations avaient permis à la société de prendre conscience des difficultés quotidiennes des agriculteurs, se traduisant par une hausse des dons sur les cagnottes en ligne dédiées à la profession.

"Les moteurs du don, ce sont l’émotion suscitée par une cause et la notion de proximité, explique Amandine Plas, directrice marketing chez Leetchi. Contrairement aux donations effectuées pour une grande structure, lorsque quelqu’un fait un don sur Leetchi, il sait à quoi sert son argent." Chaque cagnotte solidaire, toujours vérifiée par l’entreprise, défend une cause claire.

Un soutien aux agriculteurs qui se confirme

L’année dernière, les cagnottes créées en soutien aux agriculteurs ont rapporté près de 5,8 millions d’euros, soit une hausse de plus de 1,7 million d’euros par rapport à 2023. Au total, les cagnottes agricoles comptaient pour 8,7 % de l'ensemble des cagnottes solidaires en 2024 et pour les agriculteurs représentaient 73 % des professions soutenues.

Jean-Christophe Bertrand, éleveur de bovin en agriculture biologique, dans le Limousin, a bénéficié de cet élan de générosité. Après la mort de huit de ses veaux à la suite d'un virus, il a dû faire face à une perte de 18 000 euros, entraînant d'importantes difficultés financières. Bien qu’il essaye de s’en sortir avec la vente de ses 26 hectares de prairies, puis un plan de redressement judiciaire, l’éleveur se retrouve contraint de payer 90 000 euros d’intérêt sur son prêt hypothécaire. En juin 2024, après deux ans et demi de contestation, le tribunal lui indique qu’il lui reste moins d’un mois pour payer une partie de cette dette, sans quoi il procèdera à une liquidation judiciaire. "En apprenant la nouvelle, j’ai voulu baisser les bras, se rappelle Jean-Christophe Bertrand. Je me disais ‘tant pis, je ferai autre chose’. Mais ma fille a refusé et m’a dit qu’on devait continuer."

"Il faut savoir mettre un mouchoir sur son orgueil"

La démarche de lancer une cagnotte n’a pas été facile. "C’est dur de demander de l’argent, de faire l’aumône. Mais je n’avais pas le choix, confie l’éleveur. C’était le dernier recours pour ne pas me retrouver dehors. Parfois, il faut savoir mettre un mouchoir sur son orgueil." C’est à la suite d’une recherche sur Internet que Jean-Christophe se décide. "J’ai vu qu’une exploitante et sa famille avaient dû faire face à une perte de 200 000 euros. Ça avait marché pour elle, donc je me suis que ça pouvait fonctionner pour moi aussi, tout simplement."

Avec l’aide de sa fille Cyrielle, celui qui se décrit comme combatif monte sa cagnotte en ligne. "Les premiers jours, on a reçu 10 euros, puis 50 euros et ça ne cessait pas d’augmenter", décrit-il admiratif. Grâce au bouche-à-oreille, à la couverture médiatique et aux partages de sa cagnotte sur les réseaux, Jean-Christophe arrive à récolter 40 000 euros en trois semaines. De quoi suspendre sa mise en liquidation. Neuf mois après la création de sa cagnotte, il lui reste 10 000 euros à trouver pour atteindre son objectif initial.

Des cagnottes solidaires en hausse

Cet usage solidaire des cagnottes Leetchi s’est développé spontanément en 2015. A la suite des attentats de Paris, plusieurs projets pour soutenir les victimes ont vu le jour. "Petit à petit, on a vu apparaître des cagnottes solidaires pour subventionner tout ce qui touche les Français dans leur quotidien : les opérations médicales, la cause animale, le soutien au personnel soignant pendant la crise Covid…", détaille Amandine Plas. En cinq ans, le montant collecté par les cagnottes solidaires a fait un bon de plus de 2 000 %. Si ces cagnottes ne représentent toujours qu’une petite part de l’activité générale de l’entreprise (20 %), elles sont en forte croissance et ont augmenté de 15 % entre 2023 et 2024.

Pour Jean-Christophe, voir que les Français soutiennent sa profession, "ça réchauffe le cœur". Des centaines de donateurs ont laissé des messages d’encouragement sous sa cagnotte : "Cet élan m’incite à m’accrocher et à continuer d’élever mes animaux en bio !"